Haïti. Le dur devoir d’exister est un témoignage de première main sur le défi d’exister. Amélie Baron, reporter-photographe, saisit, à la suite du séisme du 12 janvier, des corps en mouvements et en vie, qui font face aux difficultés d’exister. Rien ne lui échappe : la misère, la beauté, la générosité, l’amour et la résistance. Alors des regards, des visages et des paysages se dressent à contre courant du visuel lisse. Ces yeux et ces corps debout sont comme autant de rappels de la fragilité de la condition haïtienne. Ces yeux et ces corps disent aussi l’urgence de mieux voir, mieux sentir et donc mieux comprendre Haïti.
Le « Jovenel de Mme Baron » est docile, conquis et moribond, exhibant une vulnérabilité qui déshonore la nation haïtienne. Il est minable.
Jovenel est un animal traqué, esseulé et auquel on refuse tout secours. Il va mourir dans la solitude et le mépris, comme un vilain berger rejeté par son maître.
En octobre 2009, J’ai reçu un coup de fil de RFI (Radio France Internationale). On me proposait le poste de correspondante permanente en Haïti. Le rêve. J’ai sauté sur l’occasion. Je n’espérais pas avoir ce genre de poste avant une dizaine d’années. Mes parents étaient un peu inquiets mais super-heureux pour moi. À 27 ans, je fais ce que j’aime dans un pays que j’aime. »
Le 12 janvier, le séisme
« J’étais chez moi, au nord de Port-au-Prince. J’avais l’impression, avec ma colocataire, qu’un gros camion passait tout près. Ça durait, ça durait. Je suis sortie de chez moi sans être blessée. Dans les dix minutes, je suis remontée dans mon appartement pour prendre mon appareil photo et mon enregistreur. Je n’avais pas de téléphone, pas d’internet, pas de radio. J’ai vu des choses horribles. Mais le pire, ce ne sont pas les morts, c’est les mourants. »
Journaliste isolée
« On ne pouvait joindre personne. Donc on ne savait rien de l’ampleur des dégâts. À la limite, en France, vous aviez plus d’infos que nous. Je n’ai pu communiquer que le lendemain midi, depuis l’ambassade. Ma famille était inquiète. J’ai réussi à laisser un message à mes parents, vers minuit (6 h en France). »
Rythme de travail
« J’ai travaillé par téléphone le mercredi. Le jeudi, les rédactions du monde entier sont arrivées, dont trois collègues de RFI avec des moyens techniques. On a travaillé non-stop, cinq reportages par jour, sans compter les directs. Ce rythme a duré pendant au moins trois semaines. Je n’avais aucune notion du temps. »
Décalage culturel
« C’est la première fois que je reviens en métropole, depuis le séisme. Je suis arrivée le 25 août en Vendée. Ici, tout me paraît calme. Même quand je vais à Paris, aux heures de pointe. Dans les villes, c’est ordonné, il y a des vraies rues, de vrais trottoirs. Mais je trouve qu’il fait froid. Cet été, j’ai parfois porté une polaire ! »
Xynthia
« On m’a parlé de ce qui s’est passé ici en Vendée. J’ai vu ça de très loin. Je me suis dit : tiens, il y a aussi des catastrophes chez moi. Mais je ne connais personne dans les zones sinistrées. Beaucoup de gens veulent aussi savoir comment ça se passe en Haïti. Je leur explique que rien n’avance. »
La passion pour Haïti
« Je n’arrive pas à l’expliquer. Il n’y a rien sur le papier qui donne envie d’y aller. Port-au-Prince est un monstre urbain. Pourtant, je n’ai jamais vu quelqu’un qui était allé en Haïti et qui n’avait pas envie d’y revenir. »
Ses racines
« J’ai grandi à Challans, j’y ai passé 18 ans. Mais je ne connais plus grand monde en Vendée, à part mes parents. Le mode de vie occidental ne me manque pas. Je crois qu’ici je m’ennuierais. Et puis la politique actuelle de la France ne me donne pas envie d’y rester. Pour les Haïtiens, c’est le pays des droits de l’Homme. Moi, je leur dis que tout n’est pas si beau.
«Une très grande journaliste, un érudit jusqu’au bout des doigts, un esprit aussi raffiné qu’ouvert sur le monde. Une modèle de droiture et de très grand respect.
Grand reporter, ça veut dire ne pas avoir de rubrique, ne pas avoir de frontières dans sa tête. Se dire que tout est accessible aux journalistes, pas de barrières (de communicants, d’agents, comme c’est désormais beaucoup le cas pour les écrivains), pas de sujets interdits ou tabous non plus, pas d’icônes intouchables.
Toute sa vie, ell a gardé aussi cette exigence de liberté intellectuelle, d’indépendance vis-à-vis de tout dogme ou parti pris, cette volonté de qualité qui n’excluait pas la passion de faire savoir et la gourmandise pour la vie et les mots. Elle parvient magnifiquement à communiquer cet état à ceux qui le connaissaient, un exemple pour toute une génération de journalistes.