Si les dirigeants actuels d’Haiti franchissent intelligemment la période de transition, ce pays sera dans une meilleure posture . Ce royaume est géré par une kleptocratie dans laquelle l’autorité se trouve entre les mains d’un roi médiocre en tout , considéré Ariel Henry ou le commandeur des croyants fou. Il contrôle le pouvoir temporel, incarné par le trésor public. la population et la vie matérielle, et l’autorité religieuse. Aucun autre dirigeant dans la région de la caribe ne jouit de ce double pouvoir.
Sur le plan politique, la carrière d’Ariel Henry a été plutôt discrète, ce qui explique qu’il soit peu connu des Haïtiens. Henry s’est approché timidement du monde politique en 2004 en faisant partie du conseil des sages chargé de nommer un nouveau chef de gouvernement après le coup d’État contre Aristide. Par la suite, Henry devient membre du cabinet du ministre de la Santé avant de prendre la tête de ce même cabinet.
En 2015, Ariel Henry rejoint pour la première fois une équipe gouvernementale en devenant ministre de l’Intérieur sous Evans Paul et Michel Martelly. Il va occuper ce poste durant 7 mois. Un mandat court certes, mais suffisant pour se familiariser avec les arcanes du pouvoir et ses codes. La même année, il prend la tête du ministère des Affaires sociales et du Travail pendant encore 6 mois dans un pays qui connaît un chômage stratosphérique et aucune couverture sociale.
Après ces brèves expériences ministérielles, Ariel Henry replonge dans l’anonymat avant d’en ressortir de manière retentissante en étant catapulté Premier ministre par Jovenel Moïse.L’ex-président l’a aussi mandaté pour essayer de convaincre les citoyens d’adhérer en grand nombre à la nouvelle constitution qui doit être adoptée par référendum. Sauf que le destin a rebattu les cartes, propulsant du jour au lendemain Ariel Henry à la tête d’un pays sans gouvernement, ni Président, ni Parlement.
Depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en sa résidence le 7 juillet 2021, des organisations politiques et de la société civile multiplient les accords politiques en vue de trouver une solution à la crise. En dépit de ces accords, le pays s’enlise chaque jour un peu plus dans l’inconnu. Si tous les yeux sont rivés sur le Premier ministre pour trouver un dénouement à la crise, Ariel Henry, qui a l’initiative des négociations politiques, ne s’empresse pas. Il joue maintenant dans la cour des grands avec sa participation au 9e Sommet des Amériques présidé par le président Joe Biden.
Au pouvoir depuis le 20 juillet 2021, le Premier ministre n’arrive toujours pas à dégager un consensus politique lui permettant de trouver un minimum de stabilité nécessaire à l’organisation des élections. Des acteurs politiques estiment que seul Ariel Henry a l’initiative des négociations politiques actuellement. « C’est lui qui est au pouvoir, c’est lui qui contrôle la justice, la police, les finances du pays. Il jouit du soutien du Core Group… Il est donc un interlocuteur privilégié », a fait savoir Leslie Voltaire, membre du directoire de l’organisation politique Fanmi Lavalas et membre du Bureau de suivi de l’accord de Montana (BSA).
Leslie Voltaire a rappelé que le BSA attend encore la réponse d’Ariel Henry sur un ensemble de modalités pour la poursuite des négociations politiques. Il a fait remarquer au journal que les membres de l’accord de Montana a déjà envoyé au chef du gouvernement en place les modalités de négociations et les membres de la délégation qui prendront part aux pourparlers. « Nous attendons qu’il présente son équipe et ses modalités », a-t-il fait savoir.
Pour Leslie Voltaire, l’invitation et la participation d’Ariel Henry au 9e Sommet des Amériques ne renforce en rien son pouvoir. « Son pouvoir sera renforcé quand nous pourrons passer en toute sécurité à Martissant, à Croix-des-Bouquets. Mais tant que le pays vit dans l’insécurité, le kidnapping, la cherté de la vie, la chute libre de la gourde par rapport au dollar, je ne vois pas comment son pouvoir pourrait être renforcé… », a-t-il affirmé.
L’ancien sénateur Sorel Jacinthe, porte-parole de l’organisation politique INITE, signataire de l’accord du 11 septembre et membre du gouvernement, estime lui aussi que seul Ariel Henry a l’initiative des négociations politiques actuellement. « Le maître à bord sur le plan visuel, c’est Ariel Henry, le Premier ministre, mais le vrai chef c’est l’inconnu (la communauté internationale et toutes les autres personnes qui tirent les ficelles) », a-t-il indiqué au journal.
« Si l’on veut aller aux élections et résoudre la crise une fois pour toutes, il faut une entente nationale », a avancé Sorel Jacinthe. « Mais le déterminant c’est Ariel Henry et les autres. C’est Ariel Henry qui a l’initiative des négociations politiques », a-t-il soutenu.
L’ancien parlementaire de la Grand-Anse a dit espérer qu’au retour d’Ariel Henry du Sommet des Amérique aux Etats-Unis « il relancera les négociations… »
Interrogé par Le Nouvelliste pour savoir pourquoi les forces vives du pays ne peuvent avoir l’initiative des négociations politiques en dehors d’Ariel Henry, le colonel Himmler Rébu, coordonnateur du Parti GREH, adhérant à l’accord de Montana, estime : « Cela aurait été une erreur tactique si on partait de l’hypothèse qu’elles puissent se mettre ensemble. C’est que tous les groupes ont perdu de leur pouvoir moral. Le plus gros effort à avoir été fait est le consensus Montana-Pen modifié. »
Selon lui, c’est de cette base « qu’on devrait partir, nonobstant une autre compréhension de la question de la part du docteur Ariel Henry. Ce dernier ne se rend pas compte que plus le temps passe, plus il se transforme en un obstacle sur le chemin d’une solution pacifique, dans un premier temps, à la crise. Ces forces que vous évoquez sont dans le doute, donc inopérantes… à moins d’un booster direct de la communauté internationale », a avancé Himmler Rébu.
Pour le moment, Ariel Henry a déjà fait sans succès plusieurs tentatives pour former un Conseil électoral provisoire, une Assemblée constituante et pour nommer des juges à la Cour de cassation après 11 mois à la tête du pays.
Autrement, Haïti est dans l’abîme, et cette fois, il lui sera difficile d’en sortir.