Le pays a connu en 2008 quatre ouragans, qui ont notamment englouti la ville des Gonaïves, déjà frappée en 2004. L’Etat, chaque fois, s’est montré déficient, inerte ou corrompu. Un Etat qui compte sur les organisations non gouvernementales (ONG) pour assurer le minimum social et sur les Eglises, pentecôtistes et autres, pour garantir la résignation. Un Etat champion de la sobriété. Parmi les cent pays les plus peuplés du monde, il est celui qui, en 2003, dépensait le moins pour les services publics. Haïti, champion de la rigueur sociale! Les mots et les images disent à quel point cette carence pèse.
Haïti s’enfonce depuis longtemps dans un désastre écologique. L’érosion généralisée donne aux campagnes un aspect lunaire, transformant toute averse tropicale en lessivage torrentiel. Les autorités, qui ne font autorité sur rien, sont au mieux spectatrices inconscientes ou impuissantes d’un univers comateux. La tectonique, qui ne s’était pas manifestée depuis près de deux siècles, vient ajouter une dimension apocalyptique au chaos urbain. Avant le 12 janvier 2010, Port-au-Prince, dont la population a décuplé en un demi-siècle, n’était déjà plus une ville, mais un agglomérat de quartiers sans équipements où s’entassent deux cents nouveaux habitants chaque jour. Avec pour unique règle d’urbanisme l’absence de règles. Squats partout. Les mauvais matériaux s’achètent aussi facilement que les dérogations. On construit dans les ravines. Les bidonvilles s’installent sur des pentes à plus de 50% ou sur les polders d’ordures, en bord de mer. L’extrême pauvreté des trois quarts des Haïtiens leur interdit tout investissement dans l’habitat.
Même si on veut la croire réelle chez M. Obama, la dimension humaniste n’interdit pas de rappeler la constance de la politique américaine dans l’arc caraïbe. La doctrine Monroe — l’Amérique aux Américains — s’y applique avec plus de zèle que dans le reste de l’«hémisphère ouest». Toute agitation à mille kilomètres de Miami, et à proximité de Cuba, est vécue comme dangereuse. Tout effondrement d’Haïti, quelle qu’en soit la cause, peut engendrer un afflux incontrôlé de réfugiés — une des dimensions qui décidèrent M. Clinton à intervenir en 1994. L’ancien président crut aussi y trouver un facile succès de politique extérieure. S’agit-il de la même appréciation? Ou les Etats-Unis soutiendraient-ils, pour la première fois de leur histoire, la renaissance d’un voisin, paradigme de l’injustice qu’ils ont contribué à alimenter.
La mobilisation internationale va-t-elle continuer à soutenir le courage et la solidarité des Haïtiens? La machine médiatique est par nature versatile, les sommes à mobiliser considérables.
Qui va assurer la direction des opérations?
Les Etats-Unis?
L’Organisation des Nations unies (ONU)?
Une organisation nouvelle spécialement dédiée à ce type de cataclysme qui transformerait Haïti en «pupille de l’humanité», comme le propose le philosophe Régis Debray au nom de la fraternité ? Pour sortir du «surplace existentiel ». Logique d’avenir, contrepartie de la violence passée exercée par la France et par les Etats-Unis sur la patrie de Toussaint Louverture? Comment ouvrir grandes les frontières aux Haïtiens? Fixer en province cet exode d’une capitale hypertrophiée? Comment enfin donner toute leur place aux Haïtiens et pas toujours aux mêmes? Inclure ceux d’en bas, toujours humiliés, et ceux de la diaspora, forts de leurs compétences. Révolutionner les mentalités. Comment métamorphoser l’Etat flibustier en stratège et en protecteur?
Etats-Unis, République dominicaine, Canada, France sont dans l’ordre les principales terres d’accueil de la diaspora haïtienne. Le Brésil et la Caraïbe sont impliqués depuis longtemps, l’Union européenne est un bailleur majeur. Quels que soient leurs projets, nul plan ne rebâtira le pays s’il ne repose sur tous les compartiments de la société haïtienne. S’il ne se souvient que le sinistre à réparer ne date pas du séisme de 2010. Et que l’urbanisme n’en est qu’une dimension.
Reconstruire Port-au-Prince et ses environs, ou construire Haïti?