Haïti, ci-devant Saint-Domingue, avec sa production annuelle de 80 000 tonnes de sucre et de 40 000 tonnes de café, était considérée, à la veille de 1789, comme le centre agro-industriel le plus important et occupait une place légendaire dans le commerce international de l’époque. Selon le professeur Gérard Pierre-Charles, l’application des techniques les plus progressistes la mettait, à bien des égards, en avance sur la France 144. Et le Marquis Gouy d’Arcy, dans une lettre au Roi Louis XVI en date du 31 mai 1788, affirme que « Me trônait aux côtés de la France comme un second Royaume. » 145 Le trafic entre la colonie et l’extérieur était assuré par quelque 1 745 bâtiments, dont 700 américains, montés par 80 000 marins .
La France réalisait les deux tiers de son commerce extérieur avec Saint-Domingue, soit l’équivalent de 210 millions de francs. Le
commerce illicite avec d’autres pays, notamment les États-Unis et l’Angleterre, porte le chiffre d’affaires des transactions de la colonie à près d’un demi-milliard de francs 147. Aucune possession étrangère du Nouveau Monde, pas même le Mexique, le Brésil et le Pérou, ne pouvait soutenir la comparaison avec Saint-Domingue en termes de valeur des transactions réalisées avec leur métropole ou avec le « marché externe » 148. Et en référence à l’importance économique de l’Asie pour l’empire britannique, un chercheur français n’a pas hésité à affirmer que « l’Inde était au Royaume-Uni ce que Saint-Domingue était à la France. » 149 On comprend alors que cette « île légendaire », qui avait connu une étonnante prospérité, méritait effectivement l’épithète de Perle des Antilles.
Lorsqu’on compare ces chiffres fabuleux aux données angoissantes que nous avons avancées au début de ce chapitre, on se rend compte
que le sous-développement haïtien s’explique par une conjonction de facteurs, les uns plus importants que les autres, tels la dépendance, les revers de l’Histoire, la nature de l’État haïtien…
Sauveur Pierre ÉTIENNE, Haïti : l’invasion des ONG. (1997) 1