Déjà largement affaibli, le chef d’Etat chilien, Sebastian Piñera (droite), voit son image encore davantage écornée, à six semaines de l’élection présidentielle prévue le 21 novembre, à l’issue plus qu’incertaine. Eclaboussé par les révélations des « Pandora Papers », le président est visé par une enquête depuis le vendredi 8 octobre. « Le procureur général a pris cette décision considérant que ces faits pourraient constituer, le moment venu, des délits de corruption, avec leur corollaire en matière de dessous-de-table et d’éventuels délits d’ordre fiscal », a justifié Marta Herrera, responsable de l’unité anticorruption au parquet.
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En cause : la vente de la compagnie minière Dominga par la famille Piñera, en décembre 2010, transaction réalisée en partie via les îles Vierges britanniques. Le paiement en trois volets était conditionné au fait que l’endroit où le projet portuaire et minier devait être développé ne soit ni déclaré « zone de protection environnementale », ni transformé en réserve nationale. Une restriction dépendant alors directement du gouvernement de Sebastian Piñera, qui effectuait un premier mandat (2010-2014), avant de revenir au pouvoir en 2018.
Le chef d’Etat clame sa « totale innocence », arguant qu’il n’était pas au courant de ces opérations. Sa ligne de défense : les faits ont déjà été scrutés par une « enquête approfondie », « close par la justice » en 2017. « Les faits liés à la vente et à l’achat de la société minière ne sont pas expressément inclus dans la décision de non-lieu de 2017 », a cependant indiqué Mme Herrera.
Image présidentielle étiolée
L’enquête marque un nouvel épisode de la ligne poreuse entre le statut d’élu de Sebastian Piñera, l’une des plus grandes fortunes du pays, et ses affaires. « Cela exacerbe également le malaise des citoyens, dans le cadre d’une crise déjà consommée avec la classe politique. Cela pourrait affecter la participation aux élections », analyse Susana Riquelme, politiste à l’université du Bio-Bio (Concepcion, centre du pays). Les députés de l’opposition ont par ailleurs enclenché une procédure qui pourrait mener à la destitution du président. Elle devra ensuite être étudiée par le Parlement.
Mais il ne s’agit pas du seul revers du chef d’Etat. Sur le volet des droits humains, Sebastian Piñera a été accusé de crimes contre l’humanité, en avril, par quatre associations devant la Cour pénale internationale de La Haye, dans le cadre des « attaques généralisées et systématiques envers la population civile » lors de la violente répression de la révolte sociale historique de 2019.
Cette image présidentielle étiolée jette une ombre sur le candidat de coalition de droite, Sebastian Sichel, un avocat de 44 ans qui, dans le cadre de la campagne, tâche de tenir M. Piñera à distance. « J’espère que le président est innocent, mais je ne pense pas être la continuité de qui que ce soit. Il s’agit d’un nouveau cycle politique », a-t-il déclaré. Selon les derniers sondages, qui placent le candidat de gauche, Gabriel Boric, en tête, M. Sichel est désormais distancé pour la deuxième place par le candidat d’extrême droite, José Antonio Kast. M. Kast, avocat et ex-député de 55 ans, porte un discours sécuritaire, en faveur des réductions d’impôts, des énergies vertes et du durcissement des règles migratoires.
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Les récentes nouvelles arrivées de Vénézuéliens, poussés par la misère, dans le nord du pays, se sont retrouvées sur le devant de la scène en septembre. Des habitants d’Iquique, à près de 2 000 km de Santiago, ont brûlé des affaires de migrants – tentes, matelas, vêtements, etc. – dans un campement de fortune sur une place de la ville. Des faits dénoncés par l’ONU, inquiète face à cette « violence » et cette « xénophobie ». « Il faut installer une barrière physique, pas un mur mais un fossé », a ainsi récemment déclaré José Antonio Kast, qui avait récolté près de 8 % des voix lors du scrutin présidentiel de 2017. Il avait alors déclaré que si l’ancien dictateur Augusto Pinochet (1973-1990) « était vivant, [il] voterai[t] pour [lui] ».
Des candidats symbolisant le renouveau
« Mais les sondages sont à manier avec précaution, ils n’ont d’ailleurs pas su anticiper la magnitude des voix en faveur de l’écriture d’une nouvelle Constitution », nuance Susana Riquelme. Quelque 78 % des électeurs se sont prononcés en ce sens lors d’un référendum en octobre 2020, l’un des principaux aboutissements du mouvement social de 2019. « Ce qui est certain, poursuit la politiste, c’est que d’une façon totalement différente, Kast et Boric incarnent le renouveau. Pour une partie de l’électorat, les candidats Sebastian Sichel et Yasna Provoste [démocrate-chrétienne de centre gauche] symbolisent la continuité des politiques qui ont été menées ces trente dernières années. »
Les deux candidats (de gauche et d’extrême droite) en tête des sondages prolongent en partie le clivage entre les Chiliens ayant rejeté l’écriture d’une nouvelle Loi fondamentale et ceux qui souhaitent reformuler en profondeur les fondements du pays, notamment sur la base de nouveaux droits sociaux – un discours porté par Gabriel Boric.
La Convention constituante, qui vient d’approuver son règlement, doit maintenant s’atteler à la rédaction du texte. Il doit être soumis à un nouveau référendum à la mi-2022, et influera sur la prochaine présidence. Si le regard du Chili est tendu vers l’ère post-Piñera, qui ne peut être candidat à sa réélection, son mandat est cependant encore loin d’être terminé, avec un probable second tour le 19 décembre et une transmission de pouvoir le 11 mars 2022. « Les prochains mois vont être difficiles, avec peu de marge de manœuvre politique pour le gouvernement et un contexte de très grande incertitude », anticipe Susana Riquelme.