L’endettement extérieur d’Haïti a été inauguré en même temps que l’instauration de relations diplomatiques avec la France. Pour s’acquitter, en 1825, de la première annuité du dédommagement aux anciens colons, l’Etat haïtien emprunte un montant équivalent à celle-ci soit 30 millions de francs auprès d’une banque française, à rembourser en 25 ans et au taux particulièrement élevé de 7,5% l’an5. 50 ans plus tard pour entre autres pouvoir honorer cette « double dette » initiale, le gouvernement Domingue6 contracte en 1875 un nouvel emprunt de 50 millions de francs toujours sur le marché français, auprès du Crédit industriel et commercial. Le taux d’intérêt est légèrement plus bas ; s’élevant à 6% il sera reconduit pour les autres créances. Bien qu’au début des années 1880 la « double dette » soit depuis peu éteinte, le poids du service des emprunts externes continue à s’alourdir avec l’emprunt de 1896, de cinquante millions de francs et par l’entremise de la même banque7. Enfi n l’emprunt de 1910 de 65 millions de franc-or, cette fois auprès de la Banque de l’Union parisienne, vient s’ajouter. En principe, l’échéance de ces trois derniers emprunts est prévue, successivement, pour 1922, 1932 et 1961. Tous trois sont garantis par les taxes prélevées (et régulièrement augmentées) sur les exportations caféières haïtiennes captées pour l’essentiel par le marché hexagonal. En contrepartie du tarif préférentiel appliqué par les douanes françaises sur le café haïtien, à savoir le tarif minimum plus un dégrèvement supplémentaire, la convention de 1907 en vigueur, comme d’ailleurs la précédente, prévoit des exonérations substantielles des douanes haïtiennes sur les taxes prélevées sur les marchandises françaises. Cette compensation ne fait pourtant pas disparaitre le défi cit de l’Hexagone dans ce négoce bilatéral. En effet, les importations de produits français étant surtout constituées d’articles dits de luxe, Haïti s’approvisionne pour l’essentiel aux Etats-Unis dont les ventes bénéfi cient de la proximité géographique à laquelle s’ajoute le fret bien meilleur marché que celui de la Générale Transatlantique, compagnie française de navigation.
A la veille de la Première Guerre mondiale, le solde des emprunts externes d’Haïti s’élève ainsi à près de 121 millions de francs8. Effectivement, compte tenu de la dépréciation un long moment de la cote du café, le service de la dette devient de plus en plus aléatoire pour l’administration haïtienne. Si entre 1890 et 1895, cent livres de café valaient 100 francs au Havre, en 1900 le montant chute à 37 francs pour progressivement remonter au début des années 1910 à 75 francs9. Ce repli considérable des cours voit ses effets accrus par la stagnation du volume des exportations haïtiennes de café malgré certains exceptionnels pics, avec une moyenne de 30 milliers de tonnes10 pour la période 1900-1914.
En effet peu avant la Grande Guerre, plus de 80% des revenus douaniers d’Haïti provient du café et près de la moitié de ces disponibilités est happée par le service de la dette extérieure11. A noter que depuis peu, plus précisément toujours depuis 1910, une autre créance française apparait à travers les obligations de la Compagnie nationale des chemins de fer (CNCF) détenues à 70 % soit près de 13 millions de francs, à 6% l’an, par des Français12. Pourtant c’est la National City Bank qui pilote l’acquisition par un syndicat étasunien de la CNCF. C’est un signe supplémentaire de la pénétration progressive des capitaux de la puissance étasunienne émergente qu’on retrouve dans un autre domaine clé des relations franco-haïtiennes, il s’agit du pivot bancaire.