Haïtien vivant en France, Auguste Léon Philippe est professeur d’histoire et de philosophie des sciences.
{{La France et les États-Unis avancent l’idée d’une conférence internationale pour la reconstruction et le développement d’Haïti. Quelle est votre réaction ?}}
[*Auguste Léon Philippe*]. L’essentiel est l’existence d’un vrai projet, et les personnes pour l’entreprendre. Le développement des pays sous-développés n’entre pas du tout dans les intérêts des puissances. Car aider un pays à se développer, réellement, c’est perdre son marché, ses sources de matières premières et de main-d’œuvre bon marché. Deux jeunes journalistes français ont écrit sur la présence de la Chine en Afrique. Pendant des siècles, l’Europe occidentale y était sans rien faire. Elle se contentait de piller le Continent, et de remplacer l’esclavage par la corvée. Bien sûr, la Chine a besoin de matière première mais il y a échange : en très peu de temps, elle a fait construire des écoles, des routes locales et non stratégiques. Tout ce qui vise à la reconstruction et au développement est positif, mais compte tenu de l’expérience passée et des promesses non tenues, la méfiance est de rigueur. {{Vous parlez de l’expérience haïtienne ?}}
[*Auguste Léon Philippe*]. Comme homme de progrès, j’ai soutenu Jean-Bertrand Aristide, un homme du peuple, de la théologie de la libération (président renversé par un coup d’État, exilé aux États-Unis, puis de nouveau président avant d’être chassé du pouvoir en 2004, sous la pression de la rue, mais également après une intervention étrangère – NDLR). Mais il s’est comporté en bandit. Qu’a-t-il fait à son retour des États-Unis en 1994-1995 ? Lors de la conférence de Paris, il a accepté toutes les propositions du Fonds monétaire international (FMI), le plan d’ajustement structurel. C’est ainsi que le taux des barrières douanières est passé de 55 % à 5 %. Haïti est le pays le plus pillé au monde. L’Artibonite produisait beaucoup de riz. C’était le grenier du pays. En raison de la concurrence du riz en provenance de Miami, la production rizicole de ce département a été détruite. Aristide a vendu les entreprises publiques. Désormais, le président René Préval vend La Poste. C’est une liquidation systématique du patrimoine national parce que le pays n’a plus de protection douanière pour protéger sa production locale.
{{L’ampleur de la catastrophe actuelle est-elle aussi inéluctable qu’on le dit ?}}
[*Auguste Léon Philippe*]. Prenons l’exemple des quatre cyclones de 2008 et comparons Cuba et Haïti. La Havane a pris les mesures, la population est entraînée. En Haïti, cela n’existe pas (quatre morts à Cuba, contre près de 800 en Haïti – NDLR). Les catastrophes naturelles cela se prévoit surtout dans une zone tropicale. En 1842, déjà, Haïti avait connu un tremblement de terre qui avait détruit le nord du pays. Lorsqu’on parle de développer un pays, cela implique aussi une politique de prévention.
{{Entretien réalisé par Cathy Ceïbe}}
Source :https://www.humanite.fr/node/431058