Haïti n’a jamais eu de chance avec ses dirigeants non plus. Le pays a été crée à la suite d’un acte de défi vis-à-vis de la France, à l’époque où ce pays était un des plus puissants au monde. Les anciens esclaves ont défié Napoléon quand celui-ci annula l’émancipation des noirs décidée en 1794 lors de la Révolution française et ont vaincu l’armée menée par son beau-frère pour restaurer l’ordre. Haïti a été un paria pendant un demi-siècle, un pays dirigé par de noirs alors que tous ses voisins pratiquaient l’esclavage sur la base du postulat que les noirs n’étaient pas humains. Les Etats-Unis, qu’Haïti avait aidés durant leur propre révolution, ont refusé de reconnaître le gouvernement noir et de faire du commerce avec lui jusqu’à la Guerre civile, quand les sénateurs du sud ne pouvaient plus bloquer la reconnaissance par Abraham Lincoln.
Mais les leaders en temps de conflit sont rarement de bons leaders en temps de paix, et Haïti a connu une longue histoire de dictatures militaires, de coups d’Etats, de révolutions et d’occupations. Les Etats-Unis ont occupé Haïti pendant 17 ans, quittant le pays en 1934, mais comme beaucoup de pays des Caraïbes et d’Amérique Centrale qui ont subi la domination militaire américaine, le principal héritage en fut un appareil militaire haïtien qui prit une place prépondérante dans la politique du pays. Le règne de 30 ans de la famille Duvalier a épuisé les maigres ressources du pays et crée une vaste diaspora de travailleurs talentueux.
La corruption, voilà l’explication la plus fréquente, non sans raison: les dirigeants haïtiens ont toujours fait main basse sur les richesses du pays. Il arrive d’entendre des élus parler ouvertement à la radio des pots-de-vin qu’ils touchent, et nombre d’oligarques bénéficient de monopoles lucratifs et échappent à l’impôt. D’après Transparency International, Haïti compte parmi les pays les plus corrompus au monde.
Mais c’est sans tenir compte d’une autre histoire, celle-là rarement enseignée ou même reconnue. Haïti, le premier pays dont les esclaves se sont affranchis par eux-mêmes pour fonder leur propre nation, a été forcé de payer une nouvelle fois pour sa liberté — en espèces, cette fois.
“La société civile ne manque pas de ressources mais entre elle et le pouvoir s’est créé un fossé. Le vivre ensemble n’est pas pensé, la communauté se réduit aujourd’hui à des intérêts fragmentés. C’est ça l’origine du problème en Haïti.”