« L’homme est naturellement un animal politique. » Aristote
Nos politiciens, c’est le cas de le dire, affectionnent les crises. Qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition. Quand il n’y a pas de crise, ils font flèche de tout bois pour en créer une et ils mettent tout en œuvre pour la faire perdurer. Quelles que soient ses conséquences néfastes pour le pays et pour la population qu’ils prétendent pourtant aimer et au nom desquels ils disent agir.
Cette affection passionnée pour les crises tient au fait que nos braves politiciens y trouvent amplement leur compte. En effet, si elles atrophient l’économie nationale, appauvrissent la population et desservent l’image du pays à l’extérieur, les crises ont en revanche la vertu de servir admirablement les intérêts des protagonistes, abstraction faite de leur chapelle respective. Opposition et pouvoir en ont un égal besoin. Et il n’est pas exagéré d’affirmer qu’ils se rendent mutuellement service quand l’un ou l’autre déclenche une gentille petite crise appelée à s’installer dans la durée et à paralyser l’État. Quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit qu’opposition et pouvoir, tout en se haïssant cordialement et en se combattant à mort, ne sont ni plus ni moins que des complices.
L’opposition a besoin des crises pour exister. Comme qui dirait, c’est sa raison sociale, son oxygène. Fractionnée en mille morceaux, incapable de mobiliser, elle ne pèse pas lourd en temps normal. Les crises lui font de la lumière, lui offrent une tribune en lui permettant de brailler constamment dans les médias et de montrer sa capacité de nuisance. À défaut de triompher aux urnes où elle présente toujours en ordre dispersé, les crises lui fournissent une bonne rampe de lancement pour obtenir au moins une part du gâteau, une sorte de partage des responsabilités. Car c’est de cela qu’il s’agit. Et, cela obtenu, adieu les beaux discours et les grands idéaux ! Au diable le peuple !
Mais c’est surtout au pouvoir que les crises profitent. Elles fournissent un alibi en béton armé à l’impuissance et à l’incompétence des dirigeants. N’ayons pas peur des mots : ici, on convoite le pouvoir pour ses jouissances et non par désir de service. Or, la jouissance ne requérant pour toute compétence qu’un solide appétit, n’importe quel blanc bec croit pouvoir accéder aux plus hautes fonctions de l’État. Durant leur campagne, ces assoiffés de pouvoir sont donc à l’aise pour promettre monts et merveilles. Et, parce que nos problèmes sont réels et nombreux, nous commettons toujours la bêtise de les élire. Mais très vite leur incompétence s’affiche au grand jour : ils n’ont aucune solution à aucun problème. Sous leur administration, non seulement les maux qu’ils étaient venus guérir empirent, mais encore ils font des petits. Beaucoup de petits.
Devant un tel constat d’échec et d’impuissance, on croirait qu’ils auraient au moins la décence de mettre la clef sous la porte et de se retirer à reculons. Mais non ! Ils se cramponnent à la barre et affectent de se croire les meilleurs timoniers au monde. Et, pour continuer à jouir des bienfaits du pouvoir jusqu’à la fin et en toute quiétude, rien de plus facile que de créer ou d’aider à créer une crise, qui paralyse les actions et dispense de diriger. Comme quoi, ils avaient de beaux projets plein la tête au bénéfice du peuple mais l’opposition, dans son acharnement à leur mettre des bâtons dans les roues, les a réduits à l’impuissance. Génial, n’est-ce pas ?
Génial, en effet ! Et l’on comprend pourquoi la crise actuelle a encore de beaux jours devant elle. À l’exception de ceux qui en subissent de plein fouet les funestes conséquences, personne ne veut la voir résolue. L’opposition, parce que toute résolution la renverrait à son insignifiance endémique; le pouvoir, parce que tout dénouement le mettrait dans l’obligation d’exister et de donner des résultats.