La reconstruction d’Haïti dépend de la capacité de la communauté internationale de réussir une stratégie qui vise à gérer le pays sans jamais prononcer les mots tutelle, protectorat ou occupation. Elle profite des tragédies et de l’absence de consensus au sein de la classe politique haïtienne pour implanter un modèle d’impérialisme basé sur une illusion de souveraineté.
La souveraineté est considérée par Louis le Fur comme la qualité de l’État de n’être obligé ou déterminé que par sa propre volonté dans les limites, du principe supérieur du droit (Principe de l’égalité souveraine des Etats), et conformément au but collectif qu’il est appelé à réaliser. L’État dispose alors d’une supériorité absolue au sein de ses frontières et de droits fondamentaux au niveau international (droit à l’indépendance, au respect mutuel, au commerce international, etc.). Il existe différentes formes d’État (fédéral, unitaire…) et peut être envisagé de plusieurs manières.
Les Haïtiens ne peuvent se permettre de mordre la main qui les extirpe des décombres, les soigne et les nourrit. Dans ce contexte de dépendance, la souveraineté est secondaire. Le contrôle du territoire par la MINUSTAH n’a pas suscité de débats parce que cette force onusienne est dirigée par le Brésil, puissance émergente d’apparence moins menaçante que les États-Unis, la France, voire même le Canada.
Le président d’Haïti et les autres élus ont été mis hors jeu par la création d’une commission pour la reconstruction coprésidée par Bill Clinton, qui se présente comme le grand ami d’Haïti. Exclues des promesses de financement, les organisations de la société civile sont incapables de participer à la reconstruction du tissu social. Sans tissu social, il n’y a pas de cohésion, pas d’organisation et surtout pas d’opposition. Des centaines d’ONG sont financées pour se substituer aux institutions nationales. Elles ne proposent pas de projets structurants, ne font pas d’achat local, n’embauchent pratiquement pas d’Haïtiens. Leur approche a démantelé ce qui restait de la structure économique du pays.
Au nom de la sacro-sainte démocratie, la communauté internationale a réclamé la tenue d’élections dans des conditions qui ne pouvaient nullement garantir l’intégrité du processus. Malgré des irrégularités, les observateurs internationaux avaient déclaré les résultats valides. Environ 10 jours plus tard, Ottawa et Washington se sont dits inquiets et préoccupés par l’incohérence des résultats.
Ainsi a débuté un processus qui a amené la classe politique à collaborer à la prise de contrôle du pays; 12 candidats avaient fait front commun pour dénoncer la fraude qui aurait été orchestrée en faveur de Jude Célestin. Cette belle unité n’a pas duré 24 heures. Michel Martelly et Mirlande Manigat ont cautionné la fraude en maintenant leur candidature.
Sans crédibilité, les candidats ont ajouté une autre couche d’absurdité en faisant des propositions de sortie de crise qui sont inconstitutionnelles. La souveraineté étant l’ultime source de fierté des Haïtiens, le prochain président ne servira qu’à leur donner l’impression d’être maîtres chez eux.
La communauté internationale a réuni les conditions pour prendre le contrôle du pays sans opposition populaire et politique. Insensible au désespoir, à la perte de dignité de ses concitoyens et aveuglée par le pouvoir, la classe politique haïtienne a créé les conditions pour l’élection d’un régime fantoche. Parce qu’il n’y a pas eu d’invasion armée et sous le couvert de l’aide humanitaire, la stratégie a échappé à toute forme de contestation. La propagande a mis l’accent sur une amitié entre peuples dénuée d’intérêts géopolitiques et économiques.
Cette amitié a été renforcée par une promesse de 10 milliards de dollars pour la reconstruction. Dans les faits, cette somme devrait être dépensée dans l’économie des pays donateurs. Jusque-là, le seul dérapage de cette stratégie aura été la crise du choléra, simple dommage collatéral.