PORT-AU-PRINCE, Haïti – Dans les rues de Port-au-Prince en février, les manifestants ont exigé que le président haïtien, Jovenel Moïse, démissionne parce qu’il avait dépassé la durée de son mandat. Son administration avait dissous le Parlement après avoir échoué à organiser des élections, et il avait illégalement renforcé le pouvoir judiciaire et les commissions électorales. Des gangs armés, agissant avec son soutien, ont massacré des manifestants et terrorisé des citoyens pauvres et impuissants. Les organismes gouvernementaux étaient en désordre, comme ils l’étaient depuis des années.
Les États-Unis et d’autres pays apportant un soutien indéfectible à M. Moïse, les organisations civiles haïtiennes ont compris que la seule façon de sauver Haïti était qu’elles le fassent elles-mêmes.
Ce mois-là, des groupes représentant des syndicats, des associations professionnelles, des alliances d’agriculteurs, des organisations de défense des droits de l’homme et de la diaspora, des groupes vaudous et des églises ont formé la Commission de recherche d’une solution haïtienne à la crise. Je suis l’un des 13 commissaires.
Pour aller au-delà de la classe politique et de nos propres cercles, nous avons consulté des Haïtiens de tous bords politiques, de tous horizons professionnels, de toutes appartenances religieuses et de toutes classes sociales, afin de parvenir à un large consensus par le biais de compromis qui nous donneraient l’autorité nécessaire pour créer une solution dirigée par les Haïtiens.
En l’absence d’alternatives parfaites à un gouvernement corrompu et illégitime qui gouverne par décret, nous pensons que le meilleur espoir du pays est une transition politique dans laquelle l’inclusion apporte la légitimité, menant à des élections libres. Nous pouvons créer un Haïti libre, sûr et démocratique par nous-mêmes, mais nous avons besoin que les États-Unis et d’autres nations abandonnent le statu quo et soutiennent le travail que nous avons entrepris depuis des mois.
Nous avons établi un siège modeste dans une petite pièce de l’Hôtel la Réserve à Port-au-Prince, où nous avons rencontré des manifestants, des chefs d’entreprise et des représentants du parti au pouvoir. Nous avons utilisé Zoom et WhatsApp pour parler avec des Haïtiens dans d’autres villes et avec la diaspora haïtienne. Nous avons consulté des centaines de personnes et d’organisations représentant des millions d’Haïtiens.
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Puis les événements ont pris le pas sur nos délibérations.
En juillet, M. Moïse a été assassiné. Le pays est sous le choc. En raison du désaccord sur le choix du chef d’État par intérim, les politiciens de l’opposition ont rapidement contacté la commission pour discuter d’un gouvernement de transition. Ce jour-là, l’ambassade des États-Unis a exprimé sur Twitter son soutien au premier ministre par intérim de M. Moïse, Claude Joseph.
La commission a travaillé avec une nouvelle urgence. Nous avions déjà mis en ligne notre projet d’accord et l’avions ouvert aux commentaires du public. Nous avons maintenant réuni plusieurs centaines de personnes pour y travailler.
Pendant ce temps, l’ambassade des États-Unis a tweeté une déclaration extraordinaire d’un groupe d’ambassadeurs qui a nommé Ariel Henry comme premier ministre par intérim et lui a demandé de former un gouvernement.
Le 30 août, nous avons dévoilé un projet de création d’un gouvernement de transition soutenu par de nombreux partis politiques et secteurs de la société haïtienne qui n’avaient jamais atteint de consensus auparavant.
Il propose un gouvernement provisoire dont les membres, en l’absence d’élections, seront désignés par divers secteurs pour représenter légitimement les Haïtiens. Il y aurait un président de la transition et un chef du gouvernement, ainsi qu’un organe représentatif qui pourrait contrôler le pouvoir exécutif. Il fixe des objectifs pour renforcer les institutions avant les élections, en travaillant avec de nombreux fonctionnaires compétents et bien intentionnés qui aspirent à pouvoir faire leur travail efficacement.
Il contient des dispositions qui protègent contre les intérêts personnels, par exemple en empêchant les membres de la commission d’occuper des postes de direction au sein du gouvernement de transition. L’accord, qui compte désormais plus de 900 signataires issus de groupes représentant des millions d’Haïtiens, inclut des participants qui ne sont pas d’accord entre eux, ce qui garantit la diversité des points de vue.
M. Henry, le premier ministre de facto non élu, a rapidement proposé un plan rival qui consoliderait entre ses mains tous les pouvoirs du gouvernement provisoire. Ce plan est axé sur des élections rapides sans réforme suffisante pour les rendre crédibles ou garantir une large participation. Et la plupart de ses partisans représentent des groupes qui sont déjà alignés sur le système existant, corrompu, prédateur et défaillant, et qui en bénéficient.
Nous sommes allés de l’avant, même si certaines personnes liées aux pourparlers ont été tuées ou contraintes de se cacher par des gangs et que des commissaires ont été menacés. Des hommes armés ont interrompu nos réunions à deux reprises.
Malgré tout, nous avons pu tenir des conversations substantielles et émouvantes. Quels que soient leurs antécédents, les gens ont identifié les problèmes de la corruption massive et de l’impunité des responsables gouvernementaux. La justice était une demande essentielle. La plupart des gens étaient d’accord pour dire qu’Haïti est devenu plus inégalitaire et beaucoup plus violent et que la sécurité de base était urgente. Ils étaient d’accord sur la nécessité de trouver une solution entre Haïtiens sans intervention internationale. De cette manière, les Haïtiens étaient déjà unifiés.
Cette semaine, nous nommons les membres du Conseil national de transition, qui devrait choisir un président et un chef de gouvernement par intérim. Cela devrait conduire à une négociation pour le départ de M. Henry, qui a dit qu’il se retirerait si on ne le voulait pas.
Les Haïtiens ont besoin que les États-Unis et les autres pays apportent leur soutien au processus démocratique de la commission – auquel M. Henry est libre de participer. La meilleure solution aux problèmes complexes et imbriqués de notre pays est que les Haïtiens construisent un système politique plus inclusif, stable et non violent, une démocratie fonctionnelle.
L’administration Biden et d’autres dirigeants étrangers pensent peut-être qu’ils font ce qu’il y a de mieux pour Haïti en soutenant M. Henry. En réalité, ils font obstacle à ce qui est juste : laisser les Haïtiens sauver notre propre pays.
Monique Clesca (@moniclesca) est une journaliste basée à Port-au-Prince, ancienne fonctionnaire des Nations unies et membre de la Commission de recherche d’une solution haïtienne à la crise.