Près de 14 000 réfugiés cherchant l’asile aux États-Unis (et principalement interceptés dans la ville frontalière de Del Rio, dans le sud du Texas) sont visés par ces expulsions, qui rompent avec le discours d’ouverture de l’actuel président américain. Des renvois qui menacent aussi la vie de ces Haïtiens qui ont fui leur pays d’origine il y a plusieurs années en raison de troubles politiques, sociaux et environnementaux.
« L’État haïtien n’est pas en mesure de recevoir ces réfugiés », a indiqué Jean Negot Bonheur Delva, directeur général de l’Office national de la migration d’Haïti, cité par le New York Times, évoquant les « problèmes de sécurité » auxquels le pays fait face. Haïti a été frappé par un tremblement de terre qui a fait plus de 2000 victimes le 14 août dernier, et ce, quelques semaines à peine après l’assassinat du président Jovenel Moïse, dont la mort a amplifié une crise politique déjà persistante. L’instabilité sociale est soutenue également par la présence de gangs qui font régner la terreur dans plusieurs quartiers de la capitale et régions du pays.
« La situation est très difficile, et je demande un moratoire humanitaire » sur ces expulsions, a dit Jean Negot Bonheur Delva.
Dimanche, trois avions ramenant en Haïti plus de 300 réfugiés interpellés par les États-Unis ont atterri à Port-au-Prince. Une dizaine de milliers d’autres sont attendus au courant des trois prochaines semaines, au rythme de six vols par jour à destination de la capitale haïtienne et de la ville côtière de Cap-Haïtien, ont indiqué les autorités gouvernementales de la perle des Antilles.
Haïti n’a jamais eu à gérer un tel afflux de réfugiés.
« C’est une décision bouleversante qui pourrait rapidement devenir catastrophique sur le plan humain », a résumé lundi en entrevue au Devoir Yael Schacher, de l’organisme Refugees International, qui dénonce la radicalité de ces expulsions. « La situation sur le terrain en Haïti est trop précaire. Le gouvernement haïtien ne peut pas garantir la sécurité et les besoins fondamentaux de sa population en ce moment, et ne va pas pouvoir le faire pour les réfugiés forcés de rentrer au pays depuis les États-Unis. »
Selon l’Agence France-Presse, près de la moitié de ces premiers expulsés ont moins de cinq ans et sont nés à l’extérieur d’Haïti — principalement au Chili et au Brésil, où des milliers d’Haïtiens ont cherché refuge en 2016 et 2017 après la dégradation des conditions de vie dans le pays à la suite du séisme de 2010.
Politique d’immigration stricte
Les États-Unis font face à un afflux de réfugiés à la frontière avec le Mexique depuis le début de l’année.
La semaine dernière, le Service américain des douanes et de la protection de la frontière a indiqué avoir intercepté plus de 208 000 migrants irréguliers au sud du pays en août. C’est une baisse de 2 % par rapport à juillet, mais le nombre d’arrestations est 10 fois supérieur à celui à pareille date l’an dernier.
L’arrivée au pouvoir des démocrates, quatre ans après celle de Donald Trump, président aux politiques migratoires sévères, a redonné espoir à des milliers d’aspirants à l’exil qui convergent depuis l’Amérique du Sud et l’Amérique centrale aux portes des États-Unis. Les réfugiés qui empruntent cette route viennent principalement du Salvador, du Honduras, du Nicaragua et du Venezuela, mais aussi de Cuba et d’Haïti, après être passés par le Chili ou le Brésil.
« Le but de ces expulsions est d’envoyer un message clair aux réfugiés qui tentent d’entrer illégalement aux États-Unis, dit Yael Schacher. C’est conforme aux messages de ne pas se présenter à la frontière qui leur ont été envoyés dans les derniers mois. »
« Mais pourquoi cibler le groupe des Haïtiens ? » renchérit Vincent Joos, spécialiste de la question haïtienne à la Florida State University, joint à Tallahassee. « Est-ce parce que le gouvernement Biden trouve ici des expulsions faciles, étant donné que le gouvernement haïtien n’est pas en mesure de protester ? »
Les États-Unis ont suspendu temporairement les expulsions d’Haïtiens vers leur pays d’origine au lendemain du tremblement de terre d’août dernier, mais leur avaient déjà retiré en juillet la protection temporaire dont ils bénéficiaient en raison des troubles politiques et sociaux à Haïti.
Désormais, seules les personnes arrivées sur le territoire américain avant le 29 juillet peuvent encore prétendre à cette protection.
Les ressortissants de Cuba et du Venezuela, exposés à des crises similaires, ne sont pas soumis aux mêmes mesures de renvoi.
« Il y a un grand décalage entre le discours et les actes de Joe Biden, qui continue d’appliquer les politiques restrictives de Donald Trump, sans doute en raison de la pression qui s’exerce sur lui dans les États frontaliers du Mexique, dont le Texas, dit Vincent Joos. Le gouvernement Obama-Biden est en grande partie responsable du marasme politique actuel en Haïti, puisque Hillary Clinton, alors secrétaire d’État, a poussé le parti Tèt Kale de Jovenel Moïse au pouvoir. Il serait temps désormais que les démocrates assument leur responsabilité dans cette crise inouïe, et ce, en commençant par acquiescer à la demande des autorités haïtiennes et en mettant fin aux expulsions. »
Dimanche, le secrétaire américain à la Sécurité intérieure, Alejandro Mayorkas, a imploré les personnes marchant sur le chemin de l’exil d’abandonner leur voyage vers la frontière américaine, indiquant que les États-Unis « n’auraient pas le choix » de les expulser. Lundi, le gouverneur du Texas, Greg Abbott, un républicain proche de Donald Trump, a rendu publique une lettre adressée à Joe Biden lui réclamant de déclarer l’état d’urgence dans son État en raison de la crise actuelle à la frontière. Samedi, 16 000 étrangers avaient atteint le camp de Del Rio dans l’espoir d’une vie nouvelle.