Le 6 décembre 1492, Christophe Colomb “découvre” Haïti et la nomme Hispaniola. Il ne s’agit plus là d’une expédition aventureuse mais d’une occupation armée avec une armada de dix-sept navires et entre 1 200 et 1 500 hommes. Dès lors les 300 000 indiens caraïbes tombent sous la domination de l’Espagne. Colomb les décrit alors comme “un peuple sauvage, bon pour tous les travaux, solide, très intelligent qui, une fois débarrassé de ses coutumes cruelles, ferait les meilleurs esclaves du monde” 1 . Leur sort était lié, tous ceux qui accepteraient la nationalité espagnole en s’y soumettant sans résistance ne pourraient être réduits en esclavage, ce qui permettait de mettre tous ceux qui résistaient dans une situation de servitude. Beaucoup meurent pour avoir résisté, les autres parce qu’ils ne sont pas habitués au travail disproportionné par rapport à leur mode de vie et à leurs capacités physiologiques. En 1514, des 300 000 indiens, il ne reste que 14 000 et en 1570 seuls deux villages demeurent. Pour compenser la mort des indiens, le roi met en place, le 3 septembre 1501, la traite des esclaves qui débute par l’envoi de petits contingents qui meurent rapidement, ce qui provoque un envoi massif d’esclaves d’Afrique de l’Ouest.
En 1642, le chevalier de Fontenay prend possession d’Haïti au nom du roi de France, mais ce n’est qu’en 1697 que, par le traité de Ryswick, Haïti est rattachée aux Antilles Françaises après des combats violents de part et d’autre pour la maîtrise de l’île. Hispaniola est dès lors coupée en deux. Des deux côtés de la frontière, on achemine des esclaves qui participent au développement économique de la “Perle des Antilles”. Ainsi, en 1784, on compte dans la partie française 7 803 plantations dans lesquelles 100 000 européens possèdent 500 000 esclaves. Entre 1784 et 1791, ce sont 30 000 esclaves noirs africains par an qui sont débarqués pour repeupler Haïti. Jusqu’à 1791, Haïti est donc une colonie “comme les autres” bien que reconnue pour son exceptionnelle richesse. Mais, alors qu’en France la révolution française établit l’égalité entre les hommes, les idées véhiculées par la Société des amis des Noirs arrivent jusqu’en Haïti. Les planteurs s’inquiètent d’une possible abolition de l’esclavage et demandent à l’Assemblée Nationale de ne pas accorder les mêmes droits aux mulâtres et aux esclaves. Celle-ci refuse et les planteurs forment alors l'”Assemblée générale de la partie française de Saint-Domingue”. La tension monte, ce qui amène les Blancs à donner des droits politiques aux hommes de couleur libres, mais il est trop tard car la révolte des esclaves a débuté dans le Nord. Les esclaves marrons 2 luttent dans les mornes, forment des contingents pour abattre l’ennemi blanc. Le gouvernement révolutionnaire de Paris envoie 6 000 hommes pour rétablir l’ordre et une commission civile est mandatée pour proclamer l’égalité en droits des affranchis mais la l’esclavage, déclaré “nécessaire à la culture et à la prospérité des colonies”, se poursuit. Le calme revient en Haïti mais, après l’exécution de Louis XVI, le 21 janvier 1793, l’Angleterre et l’Espagne déclarent la guerre à la France. Des planteurs livrent l’île aux anglais en échange de leur protection. Des troupes britanniques débarquent alors sur la côte tandis que les Espagnols avancent par le Nord.
L’île est en passe de tomber sous domination étrangère lorsque l’ordre est donné de libérer tous les esclaves. Toussaint Louverture, un esclave, se bat aux côtés des Français lorsque ceux-ci décident officiellement le 4 février 1794 de “l’abolition de l’esclavage des Nègres dans toutes les colonies”. De victoire en victoire, il reprend aux espagnols tout ce qu’ils avaient conquis et, par le traité de Bâle, signé en 1795, l’Espagne cède à la France la partie est de Saint-Domingue. Il contraint ensuite les Anglais à évacuer le territoire, et ceux-ci signent avec lui un traité le reconnaissant chef d’Etat pour prévenir toute velléité de la France sur la colonie qui leur échappe. Ce traité ratifié en 1798 est le premier acte d’indépendance d’Haïti. En 1801, il soumet la partie espagnole de l’île et fait voter une constitution. Bonaparte entreprend par la suite de ramener Haïti dans l’orbite de la France. Leclerc et Rochambeau sont envoyés pour anéantir la guerre de libération des esclaves. Toussaint Louverture est arrêté et envoyé en prison en France 3 , mais le 19 novembre 1803 les troupes de Rochambeau capitulent et il lit au Cap-Haïtien la première déclaration d’indépendance confirmée le 1er janvier 1804 lors d’une solennelle prise d’armes auxGonaïves qui constitue l’acte de naissance de la première république noire.
La réalité historique de cette conquête de l’indépendance a été quelque peu arrangée par les Haïtiens qui en font une lutte d’un peuple uni vers sa liberté. Pourtant il est incontestable qu’il s’est agi d’une succession de révoltes d’esclaves plutôt que d’une révolution. Les chefs de guerre qui prennent la tête de l’insurrection, n’aspirent pas à l’intérêt commun de la patrie, et une fois l’ennemi abattu, on assiste à une résurgence des luttes claniques. On peut toutefois noter que cette période est marquée par l’union des Noirs et des mulâtres sous l’égide de Jean-Jacques Dessalines, le successeur des Toussaint Louverture. Union sacrée de courte durée puisque les intérêts personnels reprennent vite le pas avec l’assassinat de Dessalines et la division du pays entre le roi Christophe au Nord et Pétion au sud. Dès lors, c’est une succession de luttes intestines qui sévit en Haïti pour la conquête du pouvoir. Ces luttes internes vont affaiblir le pays et provoquer le retour à l’indépendance de la partie orientale de l’île sous le nom de République Dominicaine en 1844.
Après plus d’un siècle d’instabilité politique en Haïti 4 , et une situation économique exsangue à cause de l’essor du café brésilien, Haïti est obligée de se vendre au pays le plus offrant. La France et l’Allemagne ont des vues impérialistes sur l’île mais les Etats-Unis, profitant de l’anarchie qui règne dans le pays et mettant à profit leur puissance, occupent Haïti de 1915 à 1934. Déjà, cette occupation est une forme nouvelle d’impérialisme puisqu’elle se déroule en trois temps : à partir de 1905 les Américains procèdent à une implantation commerciale et financière ; le 28 juillet 1915, c’est la phase de prise de contrôle militaire, avec une occupation qui met en place une dyarchie américano-haïtienne au sommet de l’Etat ; et lors du retrait des troupes en 1934, c’est une nouvelle forme de domination qui s’installe avec un contrôle externe de la vie politique haïtienne.
La deuxième partie du XXème siècle est marquée par la dictature des Duvalier. Le 22 septembre 1957 François Duvalier, bientôt appelé Papa Doc, est élu président et devient en 1964 président à vie. Il met en place avec l’aide des volontaires de la sécurité nationale, internationalement connus sous le nom de tontons macoutes, une dictature violente soutenue par les puissances internationales et par l’Eglise 5 . Cette dictature est marquée par une volonté affichée de revendiquer la culture noire. En 1971, le successeur désigné, Jean-Claude Duvalier, dit Baby Doc, prend le pouvoir qui poursuit le régime de répression en amplifiant le phénomène de corruption et de drogue que connaissait déjà l’île.
Dès 1985, sous la pression des communautés ecclésiales de base, l’île se soulève pour mettre fin à la dictature qui s’achèvera avec l’exil du président du 7 février 1986. En 1987, la constitution est adoptée mais le pays ne retrouve pas pour autant une situation politique calme. Ainsi jusqu’aux élections de 1991, l’instabilité est prégnante. Les élections de 1990 qui voient l’élection du père Aristide, contre les attentes des grandes puissances, apportent un espoir bref de démocratie et de changement dans un pays où les gouvernements changent au gré des intérêts des groupes sociaux dominants. Le coup d’état de 1991 met fin à cet espoir et confirme l’idée qu’en Haïti aucune stabilité n’est possible. Depuis le rétablissement des autorités légitimes, grâce à l’intervention militaire onusienne, le pays reste plongé dans un chaos politique.