Haïti est une terre conquise au-delà des luttes et des combats. En premier lieu, il y a des Indiens qui passaient tout leur temps à lutter contre les occupants espagnols. Ils moururent avec bravoure et honnêteté (Fouchard, 1972). Les Africains aussi, maltraités pendant si longtemps, ont fait la guerre de l’indépendance contre la plus grande puissance coloniale de l’époque et ont brisé la chaîne de l’esclavage. Ils ont même contourné l’ordre mondial construit sur l’exploitation esclavagiste. La question qui se pose : comment des héritiers de Dessalines et de Caonabo ont pu s’abstenir aussi facilement contre la première puissance mondiale d’aujourd’hui ? Pour mieux répondre à la question posée, il faut d’abord procéder à l’ensemble des conditions qui ont débouché à la proclamation de l’indépendance en date du premier janvier 1804.
Dans la colonie, il y avait trois (3) classes sociales fondées surtout sur la différenciation de couleur : les Blancs en haut, les mulâtres à la classe intermédiaire et les Noirs en bas comme esclaves à exploiter. Les revendications des mulâtres n’étaient pas identiques à l’ensemble des revendications des bossales qui s’accroupissaient dans la misère. Les mulâtres voulaient tout simplement un traitement égal aux blancs. Mais les esclaves, eux-mêmes, ils voulaient la LIBERTÉ.
Après l’indépendance, ces deux (2) groupes sociaux ont du mal à s’unir sur un projet collectif pour démarrer le pays. Comme disait Paulo Freire : après avoir subi la colonisation, l’élite, au lieu de briser tous les liens avec l’esclavage, une fois indépendant, ne voulait devenir que de nouveaux colons ou remplacer leurs anciens maîtres[1]. Les mulâtres ne voulaient continuer l’esclavage soutenu par le code rural soit pour augmenter leurs richesses ou pour payer la dette de l’indépendance. Et les Noirs, après tant d’années d’esclavage, ont vu tout retour aux plantations comme un acte à combattre, y compris le gouvernement qui veut l’imposer (Voltaire, 1988). D’où l’origine de tous les affrontements entres ces deux (2) groupes qui ont débouché pendant toute l’histoire à des guerres civiles, l’instabilité politique ou des affrontements meurtriers.
A la suite de tous ces constats, Edmond Paul affirme que ces luttes intestines qui nous opposent quotidiennement ne feront place qu’aux étrangers soit pour s’immiscer dans nos affaires ou pour venir nous occuper[2].
Et selon Théodore Roosevelt, un ancien président américain, “une persistance à mal se conduire ou une impuissance qui aboutit à un relâchement général propre à une nation civilisée peuvent rendre nécessaire à la fin, en Amérique ou ailleurs, l’intervention de quelques nations civilisées[3]. Cette déclaration est renforcée par la doctrine de Monroe qui stipulait : l’Amérique aux Américains et considérait les pays de la Caraïbe comme étant un « l’arrière-cour» des Etats-Unis d’Amérique.
Après tant de luttes fratricides qui ont même occasionné la mort d’un président en fonction, Vilbrun Guillaume Sam, il est venu maintenant le temps de finir avec ces barbaries à l’haïtienne. Et la classe possédante, majoritairement mulâtres, acclama ou accueilla les occupants (Castor, 1988). Pourtant les bossales, par le moyen des cacos, assurent la résistance ( Bellegarde, 1937).
Pendant toute l’occupation, les Américains ont pu procéder au désarmement de la masse, contrôler nos douanes et autres institutions financières ou politiques. Cette ingérence politique qui persiste même au-delà de 1934, en complicité avec certains dirigeants politiques qui veulent soit consolider le pouvoir ou combattre leurs opposants politiques. Elie Lescot, un ancien président haïtien (mulâtre), a affirmé ” La politique d’Haïti est le reflet fidèle de la polique extérieur des États-Unis d’amérique VOLTAIRE, 1988). François Duvalier passait tout son temps aussi à s’associer avec les Américains pour lutter contre ses opposants dits communistes (Pierre-Charles, 1973).
Cette dépendance persiste jusqu’à présent où les Américains continuent à forger notre destin en tant que peuple. Ils peuvent mettre en place un gouvernement à l’aide d’un simple tweet. Fort de tous ces constats, peut-on parler d’indépendance pour Haïti ou justement un simple changement de métropole ou de colons ?
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
BELLEGARDE, Dantès, La résistance haïtienne, Montréal,Éditions Beauchemin,1937, 177p.
CASTOR, Suzy, L’occupation américaine d’Haïti, 3e édition française, 1988, 320 p.
FOUCHARD, Jean, Les marrons de la liberté, Paris, Éditions de l’école, 1972, 580 p.
FREIRE, Paulo, La pédagogie des opprimés, Marseille, 1968, 298 p.
PAUL, Edmond, Les causes de nos malheurs, Port-au-Prince, Éditions Fardin (1882), 2015, 152 p.
PIERRE-CHARLES, Gérard, Radiographie d’une dictature, Montréal, Éditions Nouvelle optique, 1973, 205 p.
VOLTAIRE, Frantz, Pouvoir noir en Haïti, Montréal, Éditions du CIDIHCA, 1988, 393 p.
WARGNY, Christophe, Haïti n’existe pas, Paris, Éditions Autrement Frontières, 2008, 212 p.
Edris Toussaint
Étudiant à la Faculté des Sciences Humaines (FASCH)
http://t-edris05@gmail.com
[1] FREIRE, Paulo, la pédagogie des opprimés.
[2] PAUL, Edmond, Les causes de nos malheurs.
[3] WARGNY, Christophe, Haïti n’existe pas, p.5.