« Nous, Me Hans Jacques Ludwig Joseph, directeur général de l’ULCC, agissant en notre qualité d’officier de police judiciaire et de Gendarme anti – corruption de la république, requérons la Police nationale d’Haïti, notamment la Brigade de recherche et d’intervention ( BRI ) de la Direction centrale de la police judiciaire ( DCPJ ), de rechercher et de conduire en état et sous forte escorte le nommé Pierre Réginald Boulos par devant la commission d’enquête dûment mandatée à cette fin », peut-on lire dans ce document publié sur les réseaux sociaux, le vendredi 2 juillet.
Le P.D.G. de la RBI, Pierre Réginald Boulos, s’est fendu d’un tweet le samedi matin 3 juillet 2021 pour dénoncer une persécution politique le visant. « Se pa premye fwa y ap sèvi ak manti, manipilasyon pou enstrimantalize lajistis kont yon opozan politik. Se pa premye fwa y ap envante fo dosye pou kouvri vrè dosye krim ak koripsyon yo. Je nou kale ! Yon jou l ap jou ! Konba a ap kontinye pou yon lòt Ayiti ! #YonLòtKalkil », a écrit l’homme d’affaires, devenu politique.
Dans l’affaire opposant des responsables de la compagnie Sogener S.A. au commissaire du gouvernement près le tribunal de première instance de Port-au-Prince, un recours préventif a été exercé par-devant le doyen, l’honorable et très expérimenté magistrat Bernard Saint-Vil, contre les mandats d’amener émis en marge de la loi. Cette affirmation du caractère illégal des mandats du chef du parquet trouve sa justification dans les dispositions de l’article 30 du Code d’instruction criminelle (CIC) qui n’autorise une telle mesure privative de liberté qu’en cas exclusif de flagrant délit. Un texte clair qui ne souffre d’aucune équivocité. La note jurisprudentielle no.5 mise au bas de cet article, dans le souci d’éclaircir davantage l’expression du législateur, mentionne ce qui suit : « En lançant un mandat d’amener contre un commerçant domicilié, sur une simple plainte, le substitut du commissaire du gouvernement a contrevenu au deuxième alinéa de l’article 30. » Sur cette tendance très remarquée au parquet, il y a lieu de dénoncer, en appui des textes sus-cités, cette pratique abusive de l’autorité de poursuite qui empiète sur les habilitations légales réservées à l’autorité d’instruction, ce au grand dam des garanties judiciaires qui sont édictées pour protéger les justiciables.
Dans le cas qui nous intéresse, le doyen, faisant office de juge des libertés, a rendu une ordonnance avant-dire droit qui suscite la polémique et qui entrave gravement le respect de ce droit fondamental et substantiel de l’homme qu’est la liberté individuelle. La Constitution haïtienne du 29 mars 1989, en ses articles 26.1 et 26.2, assigne exclusivement ce rôle au doyen qui, en plus du fait qu’il ne peut pas le déléguer à un autre juge, a l’obligation constitutionnelle de statuer à l’extraordinaire sur une telle action sans remise ni tour de rôle. L’intention du constituant a été d’établir une obligation de célérité dans le traitement de pareil cas, compte tenu des dommages irréparables et irréversibles que peut causer une privation de liberté. La logique des conséquences irrémédiables se traduit dans la possibilité évidente de détruire la réputation de la personne poursuivie, pourtant couverte par la présomption d’innocence, d’anéantir ses liens familiaux, sa vie professionnelle et même son « projet de vie ».
Dans la même veine, la Convention interaméricaine des droits de l’homme ratifiée par Haïti, au terme de son article 7.6, a encadré ce type de recours en interdisant formellement et avec clarté toute restriction. Sur cette base, le sursis de décider sur le recours en faisant droit à la demande de récusation en masse des juges de ce tribunal traduit une forme de restriction et peut produire des conséquences irrémédiables regrettables et malencontreuses. De plus, l’article 25.1 de la présente Convention insiste sur l’effectivité d’un tel recours aux juges et tribunaux compétents, destiné à la protection des personnes contre tous actes violant les droits fondamentaux. D’aucuns peuvent soutenir que le fait d’accorder priorité à une disposition d’une norme de nature inférieure porte atteinte, au titre des conséquences, au caractère effectif que doit revêtir tout recours en cette matière. Le droit à un recours effectif, conventionnellement garanti, est présenté par Gabriela Rusu, docteur en droit, comme disposant d’une nature sui generis étant à la fois (indistinctement) et dans le même temps (simultanément) un mode de sauvegarde, un droit subjectif et une obligation étatique. Si, d’une part, on peut soulever que le doyen a statué conformément à l’arrêt récent de la Cour de cassation en date du 24 juillet 2018 sur une récusation dans lequel arrêt la Cour, « avant même l’instruction entamée par le juge d’instruction de Miragoâne, avait été saisie d’une requête en dessaisissement de tous les juges du tribunal de première instance de Miragoâne qu’il était du devoir du juge d’instruction de surseoir à toute instruction en attendant la décision de la Cour de cassation », il s’avère, d’autre part, qu’il a fait le choix de mettre en application une disposition légale et « jurisprudentielle » qui ne saurait primer sur le prescrit conventionnel encore moins constitutionnel.
Dans ce cas, si le doyen est tenu de respecter et d’appliquer la loi, il est aussi et surtout tenu de protéger la liberté individuelle qui tire sa prépondérance certaine, sa primauté incontestable et sa supériorité avérée en regard des sources dans lesquelles elle puise sa force prédominante à savoir la Constitution et les principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme ratifiés par Haïti. Il serait aussi l’occasion propice de faire avancer le droit haïtien de l’habeas corpus en prenant une « ordonnance de principe » qui pourrait en même temps faire droit à la demande de récusation tout en accordant un sursis provisoire à l’exécution des mandats en circulation en attendant l’arrêt de la Cour de cassation pour pouvoir statuer au fond et définitivement. Cette « ordonnance de principe » en référence à l’arrêt de principe rendu par une Cour suprême régirait des situations futures analogues et aurait pour vocation de préciser et de clarifier ces points de droit qui sont sujets à discussion et à des interprétations diverses et différentes, notamment lorsque les textes sont lacunaires. La vertu aussi serait d’inciter la Cour suprême à aller dans le même sens qui, à travers son arrêt qui deviendrait de principe, produirait une règle de droit ayant une valeur juridique commune aux autres.
Ce faisant, cette ordonnance s’élèverait en œuvre monumentale allant dans le sens de l’article 25 du règlement de procédure de la Commission interaméricaine des droits de l’homme dont Haïti est partie, qui prévoit des mesures conservatoires dans les cas graves et urgents pouvant causer des dommages irréversibles aux personnes. Aussi, à l’article 41.1 de son statut, la Cour internationale de justice s’inscrit dans la même lignée en établissant des mesures conservatoires de caractère obligatoire afin de sauvegarder des droits que l’arrêt à rendre pourrait reconnaître. Elle l’a mis en avant dans l’affaire LaGrand du 27 juin 2001 en demandant la suspension provisoire de la décision judiciaire prise par les États-Unis en attendant son arrêt définitif. Cette même dynamique protectrice des droits fondamentaux n’est pas étrangère à la juridiction européenne en ce sens qu’elle s’est reconnue compétente pour indiquer à l’État défendeur des mesures provisoires lorsque le requérant risque de subir un préjudice grave et irréparable (arrêt Soering).
Ce sursis provisoire accordé à l’exécution des mandats d’amener se justifierait dans l’impérieuse nécessité d’anticiper tout dégât irréparable contre la liberté individuelle. Les mettre en veilleuse donnerait du sens et de l’effet utile à leur éventuelle annulation par l’ordonnance à venir après l’arrêt de la Cour de cassation. Quelles seraient l’utilité et l’effectivité d’une ordonnance rendue au nom de la République qui annule un mandat déjà exécuté pour être illégal ? Un ridicule qui desservirait la justice haïtienne.
D’une part, geler provisoirement les effets des mandats d’amener pour éventuel préjudice grave et insurmontable se rangerait dans une démarche préventive, responsable et respectueuse des garanties judiciaires et des droits fondamentaux, et en même temps, éluderait à l’avenir une cascade de récusations par le parquet contre toute action initiée pour ses actes arbitraires portant atteinte à cette valeur importante qu’est la liberté individuelle par-devant le doyen. D’autre part, cette attitude avant-gardiste largement retrouvée dans les grandes juridictions internationales, participerait en outre, à fournir un meilleur encadrement procédural à l’action en habeas corpus en Haïti qui souffre d’un déficit processuel laissant souvent la voie à une dangereuse improvisation. Certainement, une loi spécifique serait mieux appropriée pour combler ce vide normatif.
Désormais, il semble s’ouvrir une voie de plus, un stratagème de trop pour esquiver tout recours efficace et diligent, toute possibilité d’accéder au juge des libertés en toute urgence contre les actes arbitraires et illégaux de l’autorité de poursuite qui a tendance à s’octroyer des pouvoirs insérés nulle part dans la loi.
« Le MTVAyiti reconnaît qu’il y a dans ce pays un indéniable besoin de justice et s’est toujours prononcé pour la transparence et la tenue d’enquêtes et d’éventuels procès autour de tous les cas de corruption qui alimentent la clameur publique. Mais en aucun cas la justice ne doit se transformer en instrument pour harasser et pourchasser des adversaires politiques. […] Le MTVAyiti reste solidaire de son président et s’engage à l’accompagner dans ces moments difficiles d’aveugles persécutions », conclut la note.