Le journaliste, ethnologue, écrivain et homme politique haïtien, Jacques Roumain, n’a pas fini de nous surprendre. Les lecteurs de par le monde de ce grand auteur de renommée internationale ont lu Gouverneurs de la rosée, Les Fantoches, La Montagne ensorcelée et sont sortis revigorés d’idées fortes exprimées dans un style littéraire de haute qualité. Quand on reviste les articles qu’il a semés dans les pages des journaux, le même ton de l’homme de plume soucieux de la forme et du fond capte l’attention du lecteur. Romain cultive l’écriture avec une âme d’artiste. Sa poésie en témoigne grandement.
Jacques Romain a laissé à la postérité de beaux morceaux de poésie dans des pages de revues et de journaux. Pour attiser votre curiosité de lecteur, évoquons : « Midi », « Pluie », 1927 – juillet. « Cent mètres », « La Danse du poète-clown », « Noir », « Le Buvard : Insomnie », « Le Buvard : Le Chant de l’homme », . « Corrida », « Miragôane », « À jouer aux billes », « Échappée », « Surgi d’une natte de paille peinte » « Absence », « Angoisse », «Attente» 1928 – « Mirage », « Appel », « Je rêve que je rêve », « L’Aube », « Quand bat le Tam-Tam », « Langston Hugues », « Guinée », « Madrid », « Nouveau Sermon nègre ».
Une poésie pour l’oreille
Romain est un poète délicat. Sa poésie est une musique pour l’oreille. Quand il cisèle un chant pour la pluie, toute la magie se déploie dans ses vers ailés. Le poète nous emporte vers ces gouttes d’eau qui tombent des nuages vers le sol. Cette pluie devient légère et douce dans la lyre du poète.
« La pluie, monotone dactylo, tapote
Aux fenêtres closes.
Des lumières tremblotent
Roses
Dans l’obscurité dense.
Des éclairs, serpentins géants,
Dansent
Tordus à des pans
De ciel noir.
La nuit
Déploie ses voiles de moire
Sur les lointains
Jardins
Où pleure sans bruit
Le deuil
Des roses qui s’effeuillent. »
Dans « Midi », un poème qui emprunte la même magie, le même ton impressionniste pour peindre ces flots d’argent qui tombent du ciel bleu, Jacques Roumain trempe sa plume dans la palette du peintre pour donner cette belle sensation de flamme d’or qui se répand sur la terre d’Haïti.
« Midi
Les palmiers veillent sur le paysage
Las. Les orangers portent des grappes de soleil
D’or mûris au midi vermeil.
Un latanier balaie solitaire
Des nuages dans l’azur
Où fulgurent
Des insectes, étincelles
Subitement
Nées dans d’incandescents
Rayons. J’écoute le rythme du silence
Embaumé de l’encens
Des fleurs irréelles
Mon âme est attirée vers la tangente
Des désirs lourds que hante
Divinement insaisissables
L’ombre des fantômes implacables. »
Un poète qui prend parti pour son peuple
Dans ces poèmes cités plus haut, la poésie coule et enchante le lecteur. Mais l’écrivain de combat attaché à son peuple et qui milite pour que la vie change en Haïti, est un poète de grand chant, un poète qui prend parti pour Haïti, un pays tourmenté par des drames sans fin depuis ses premiers pas dans le concert des nations.
Dans son poème intitulé « Sales Nègres », Jacques Roumain fustige le comportement raciste que l’Occident cultive à l’égard de l’homme noir.
« Sales Nègres
Eh bien voilà :
Nous autres
Les nègres
Les niggers
Les sales nègres
Nous n’acceptons plus
C’est simple
Fini
D’être en Afrique
En Amérique
Vos nègres
Vos niggers
Vos sales nègres
Nous n’acceptons plus
Ça vous étonne
De dire : oui missié
En cirant vos bottes
Oui mon pè
Aux missionnaires blancs
Ou maître
En récoltant pour vous
La canne à sucre
Le café
Le coton
L’arachide
En Afrique
En Amérique
En bons nègres
En pauvres nègres
Que nous étions
Que nous ne serons plus
Fini vous verrez bien
Nos yes sir
Oui Blanc
Si Señor
Et garde à vous, tirailleur
Oui, mon commandant,
Quand on nous donnera l’ordre
De mitrailler nos frères Arabes
En Syrie
En Tunisie
Au Maroc
Et nos camarades blancs grévistes
Crevant de faim
Opprimés
Spoliés
Méprisés comme nous
Les nègres les niggers (…) »
Après avoir lu ce poème, on comprendra que pour Jacques Roumain, « l’art du poète d’aujourd’hui doit être une arme semblable à un tract, un pamphlet ou à un placard. Si au contenu de classe du poème nous pouvons allier la beauté de la forme, si nous savons apprendre les leçons de Maïakovski, nous pouvons créer une grande poésie humaine et révolutionnaire digne des valeurs de l’esprit que nous avons la volonté de défendre ».