Quinze mois exactement après l’assassinat du président Jovenel Moïse, le 7 juillet 2021, le dernier premier ministre qu’il a désigné a reçu autorisation du Conseil des ministres pour solliciter le déploiement en Haïti d’une force spécialisée armée pour aider à résoudre la crise humanitaire à laquelle le pays fait face.
Cette décision prise sous forme de résolution, à l’unanimité du Conseil des ministres et publiée dans le journal officiel Le Moniteur, est une première dans l’histoire nationale.
Comme il y a un siècle, les Haïtiens, les opposants et les responsables politiques ont trouvé la recette pour amener l’étranger à venir départager les camps en conflit. Hier, le choix était entre les cacos et l’occupation, aujourd’hui elle est entre la terreur des gangs et l’intervention de la force spécialisée armée.
Le 7 juillet 2021, quand des mercenaires colombiens se sont introduits dans le domicile du chef de l’Etat pour le tuer, selon les documents de police disponibles, le pays faisait déjà face à de graves problèmes de sécurité et était déjà embourbé dans une crise politique.
Quinze mois plus tard, la crise politique haïtienne est intacte et comme les problèmes de sécurité, elle s’est envenimée.
Le président Jovenel Moïse avait pensé avoir recours à une force spécialisée armée pour l’aider contre les gangs.
Son dernier premier ministre, Claude Joseph, avait sollicité la venue de forces armées étrangères pour aider à résoudre les problèmes de sécurité après l’assassinat du président Moïse.
Voilà que le premier ministre Ariel Henry, qui avait désavoué Claude Joseph sur ce dossier, doit, toute honte bue, démarcher le déploiement d’une force spécialisée armée dans le pays.
En quinze mois, la situation sécuritaire s’est détériorée gravement. La crise politique est à son paroxysme et la crise humanitaire évolue vers le pire tout comme la situation économique.
Ces quinze derniers mois, ni les oppositions ni les membres du gouvernement ne se sont évertués à chercher des solutions au premier problème des Haïtiens : l’insécurité. Le chaos actuel est le fils de l’insécurité et les oublis de nos chefs et aspirants chefs nous conduisent à la force spécialisée armée.
Quinze mois depuis que le président a été assassiné, quinze mois depuis que le pays tourne en rond.
La question aujourd’hui, alors que le gouvernement haïtien doit quémander sans plan ni projet la venue d’une force spécialisée armée, n’est pas de savoir si nous aurions pu éviter au pays cette nouvelle aventure mais comment faire pour éviter une nouvelle fois que cela se termine au désavantage du pays.
Pour ne pas remonter à 1915, on peut rappeler qu’en 1994 il existait une formation politique et un leadership autour de Jean Bertrand Aristide lors de l’intervention américaine.
En 2004, les institutions étaient encore debout et l’opposition solide quand débarquaient les Américains, les Canadiens et les Français.
En 2010, quand le président Barack Obama décida de dépêcher en Haïti un contingent militaire après le séisme du 12 janvier, le gouvernement de René Préval avait toute la légalité et la légitimité pour traiter avec l’aide militaire.
Il en fut de même après le cyclone Matthew, sous la présidence de Jocelerme Privert, et même après le séisme du 14 août 2021 avec l’administration d’Ariel Henry. Il y avait des problèmes, mais la représentation nationale signifiait quelque chose.
Ce 7 octobre 2022, alors que la nation ignore qui viendra lui porter secours, le gouvernement haïtien ne contrôle pas tout le territoire, la capitale se réduit en peau de chagrin, la légitimité et la légalité des dirigeants sont des plus fragiles. Les oppositions sont à la dérive entre aventurisme et immobilisme.
Sans boussole depuis des mois, le gouvernement Henry va tenter d’avaler un gros os et de vendre à la population, à la classe politique et aux gangs qu’il est encore la meilleure option pour corriger les catastrophes induites par sa gestion. Vendre cette marchandise sera une gageure.
L’avenir s’annonce difficile. Il y a tellement à faire. Tellement de forces sur le terrain. Grandes sont les tentations de faire du pire le plus petit dénominateur commun pour résoudre toutes les crises.
Quinze mois exactement depuis l’assassinat du president Jovenel Moïse, les crises qu’il a laissé en chantier sont encore prospères.
Ce 7 octobre 2022, la reconnaissance de l’échec de la gestion des derniers mois est actée et la décision est prise de confier le sort du pays à une force armée étrangère. Rien ne dit que c’est la solution à tous nos problèmes. Encore moins la bonne solution.
Pour toutes sortes de raisons, il n’y a jamais eu de projets internes post-intervention ou post-occupation pour que de ces flétrissures, dont nous sommes en grande partie les géniteurs, naissent des arbres d’avenir.
Encore une fois, en 2022, « le pays se livre en aveugle au destin qui l’entraîne ».p