Dans une « société de contrat », la légalité des actes des gouvernants ne suffit pas à asseoir leur autorité. En effet, on constate un peu partout dans le monde qu’un fossé se creuse entre légalité et légitimité de la gouvernance. Nous avons d’ailleurs noté, analysant dans les crises de la gouvernance, qu’une des impasses actuelles est de faire comme si par définition, au moins dans les pays démocratiques, la légalité de la gouvernance suffisait à en asseoir la légitimité aux yeux du peuple. Il faut s’attarder ici sur cette distinction qui sera au cœur de la gouvernance de demain.
Si le chef d’Etat illégitime s’est basé dans sa décision de rester à son poste apres ;le 7 février 2021 , sans qu’il prenne en considération sa situation de chef d’Etat illégitime? Et si le peuple l’accepte-t-il ou le refuse-t-il ? . Cette décision est nulle et non avenue pour plusieurs raison. « Le chef d’Etat actuel n’a pas de légitimité. Il est rejeté par le peuple , lui demandant de quitter le pouvoir et d’abandonner la responsabilité. Le devoir constitutionnel et moral lui impose d’accepter cette demande et de quitter le pouvoir »
Une gouvernance est légale quand l’exercice du pouvoir est régi par un ensemble de règles et de principes issus de la tradition ou consignés dans une Constitution, des lois écrites et des jurisprudences.
La légitimité de la gouvernance est une notion beaucoup plus subjective. Elle renvoie au sentiment de la population que le pouvoir politique et administratif est exercé par les « bonnes » personnes, selon de « bonnes » pratiques et dans l’intérêt commun. Cette adhésion profonde de la population et d’une société tout entière à la manière dont elle est gouvernée est une dimension essentielle de la gouvernance. Pour durer, celle-ci ne peut jamais, quelque soit l’autoritarisme d’un régime et l’importance des moyens répressifs à sa disposition, s’imposer par la pure contrainte ; elle doit rencontrer dans le cœur de la société un minimum d’écho et d’adhésion.
La démocratie a toujours tendance à considérer qu’une gouvernance légale est automatiquement légitime puisque l’adhésion populaire aux formes d’exercice du pouvoir s’est manifestée par le vote majoritaire des Constitutions et des lois et que l’adhésion aux modalités concrètes de l’exercice de ce pouvoir se renouvelle périodiquement par les élections. La réalité est bien plus complexe que la théorie. Si, dans certains pays, la Constitution est l’acte fondateur de la communauté, dans beaucoup d’autres c’est un document pour spécialistes, mal connu du peuple et sans lien réel avec la pratique du pouvoir. Le jeu démocratique lui-même peut parfaitement faciliter une tyrannie des intérêts de la majorité, dans laquelle d’importantes minorités ne se reconnaissent pas. Dans beaucoup de pays, en Afrique, en Amérique Latine, en Asie, où le modèle de la démocratie parlementaire a été importé dans les valises de l’ancienne puissance coloniale, le nouveau système politique s’est superposé à des régulations anciennes, consacrées et légitimées par la tradition. Ces régulations anciennes ont été contraintes de se travestir ou de se dissimuler mais elles restent néanmoins vivantes. On le constate chaque jour, par exemple, avec la superposition des droits fonciers ou des modes de règlement des conflits.
Au sein même des sociétés où est née la démocratie parlementaire on note un discrédit croissant de la politique, le déclin du respect de la chose publique, un décalage entre les modes d’exercice du pouvoir et les aspirations de la société ou la nature des défis à relever. C’est le révélateur d’un fossé en train de se creuser entre légalité et légitimité du pouvoir ; ce fossé, s’il persistait, serait une menace pour la démocratie elle-même.
L’efficacité de la gouvernance et sa légitimité se renforcent ou se dégradent mutuellement. Pour être moteur d’une politique de développement un Etat, par exemple, doit être fort et respecté, doit pouvoir convier les acteurs à se mobiliser ensemble, faire respecter des règles, lever l’impôt, mobiliser l’épargne. Il ne saura le faire, régime démocratique ou pas, s’il n’est pas respecté. Et il n’est pas respecté s’il apparaît inefficace ou corrompu. Comment défendre l’idée d’une action publique renforcée si celle qui existe est jugée inefficace, conduite dans l’intérêt d’une minorité sans réel souci du bien commun ou si l’Etat impose des réponses à des questions qu’il n’a pas comprises ? Comment plaider pour l’action publique si l’administration est perçue comme peuplée de fonctionnaires au mieux bornés, au pire paresseux, incompétents et corrompus ?
Renforcer la légitimité de la gouvernance, du local au mondial, constitue aujourd’hui un enjeu essentiel.
La gouvernance, pour être légitime, doit réunir cinq qualités :
- répondre à un besoin ressenti par la communauté ;
- reposer sur des valeurs et des principes communs et reconnus ;
- être équitable ;
- être exercée efficacement par des gouvernants responsables et dignes de confiance ;
- appliquer le principe de la moindre contrainte.
Ces cinq qualités doivent se trouver à tous les niveaux de gouvernance. Je les illustrerai ici par le cas de la gouvernance mondiale car c’est elle qui, de toutes, fait face au plus grand déficit de légitimité.
D’un côté les régulations actuelles ne sont pas à la hauteur des interdépendances de la société mondiale actuelle. De l’autre, toute initiative pour renforcer ces régulations peut ne rencontrer aucune adhésion populaire si la légitimité de celles qui existent déjà est sujette à caution. Or, c’est le cas : l’ONU est souvent perçue comme une mascarade coûteuse. Sa légitimité démocratique est limitée, coincée entre le droit de veto de quelques grands pays au Conseil de Sécurité et l’hypocrisie du principe « un Etat, une voix » qui fait semblant de mettre sur le même pied le Népal, le Burkina Faso et les USA. Même crise de légitimité pour la Banque Mondiale et le FMI, devenus dans la pratique des outils d’action des pays riches sur les pays pauvres. Les règles internationales énoncées par des autorités sans visage, sans mandat clair, sans instance de recours identifiable prolifèrent, minant l’autorité de ces règles et leur effectivité mais discréditant aussi à l’avenir la prétention d’en formuler d’autres, y compris dans les domaines où l’on dénonce la loi de la jungle et la prolifération des injustices. D’autant plus que la cohérence entre les actions des agences des Nations Unies n’est pas assurée et que les moyens financiers et réglementaires de promouvoir leurs idées et d’imposer l’application des règles qu’elles édictent leur font en général défaut. La gouvernance mondiale actuelle, principalement faite de relations entre Etats nationaux, cumule les déficits de légitimité : ceux qui tiennent au déficit de légitimité des Etats eux-mêmes et ceux qui tiennent aux modalités des relations entre Etats.
1. a) Répondre à un besoin ressenti par une communauté
Toute gouvernance crée un équilibre entre la protection de l’autonomie de chacun et les contraintes imposées au nom du bien commun. Dès que le bien commun perd de son urgence ou de son évidence, que les objectifs poursuivis sont obscurs, que les moyens d’atteindre ces objectifs ne sont pas transparents, les contraintes imposées au nom du bien commun perdent leur légitimité et chacun cherche à s’y soustraire. Tous les peuples ou presque connaissent des législations d’exception correspondant aux situations où la société se sent menacée et où cette menace justifie la suspension temporaire des libertés, un effort de solidarité fiscale particulière ou le sacrifice des vies humaines. La contrainte est acceptée en proportion de sa nécessité. On peut vérifier cette règle dans de nombreuses sociétés où la fraude fiscale est un sport national et où, pourtant, des communautés plus petites n’ont aucun mal à se cotiser pour réaliser un ouvrage d’intérêt commun. C’est pourquoi il est nécessaire de réduire au maximum les règles uniformes « venues d’en haut » , qui ne permettent pas à chaque communauté plus petite de se réapproprier la nécessité qui fonde ces règles. C’est pourquoi aussi nous avons souligné, à propos de la crise de la gouvernance, l’importance de référer toute règle au contexte et aux nécessités qui ont présidé à sa naissance.
2. b) Reposer sur des valeurs et des principes communs et reconnus
Nous avons vu à propos de l’éthique qu’il n’y a pas d’un côté des valeurs collectives, s’appliquant aux institutions, et de l’autre des valeurs individuelles, s’appliquant aux personnes. Les dilemmes des sociétés – entre liberté et bien commun, entre défense de leurs propres intérêts et reconnaissance de ceux des autres, entre paix et justice, entre préservation de l’identité et nécessité d’évoluer, etc… – se retrouvent au niveau des personnes. L’impératif de responsabilité n’est pas propre aux gouvernants ; il renvoie chaque personne et chaque acteur social à ses propres devoirs. Il ne peut pas y avoir d’un côté une morale publique et de l’autre une morale privée. Les plus belles Chartes du monde ne seront jamais que chiffon de papier si elles ne trouvent pas un écho dans le cœur de chacun. L’expérience des « codes de conduite », dans les entreprises par exemple, montre que c’est le processus collectif d’élaboration du code par l’ensemble des personnes auquel il s’appliquera qui en fait toute la valeur. Ce qui signifie en particulier que les principes de responsabilité, comme les droits de l’homme eux-mêmes, doivent être redécouverts, réinventés, génération après génération. Il n’y a pas de gouvernance légitime si la charte des valeurs ou le préambule de la constitution ne sont plus que des documents poussiéreux, bons tout juste pour les livres d’histoire, et si les gouvernants ne conforment pas leur comportement aux valeurs qu’elles proclament.
C’est pourquoi la légitimité de la gouvernance dépend de son enracinement culturel. Chaque société a inventé au fil de son histoire ses propres modes de régulation, ses propres conceptions de la justice, du règlement des conflits, de la préservation du bien commun, du partage des ressources naturelles, de l’organisation et de l’exercice du pouvoir. L’art de concilier unité et diversité vaut pour la gouvernance elle-même puisqu’il faut concilier des principes universels et leur déclinaison dans chaque culture. Chaque communauté doit pouvoir dire comment elle entend s’organiser et se gérer pour atteindre les buts d’intérêt commun : pour gérer l’eau et les sols, pour organiser le partenariat entre acteurs, pour prendre des décisions, etc.. Loin d’être préjudiciable à l’unité d’une nation ou de la planète la réinvention locale des règles par une communauté est, un acte fondateur par lequel sont reconnues à la fois son identité (manifestée par des règles inventées en commun) et son appartenance à une communauté plus large (manifestée par la prise en compte de principes directeurs universels).
3. c) Être équitable
A l’échelle des individus comme à l’échelle des pays, la légitimité de la gouvernance repose sur le sentiment d’équité. Chacun, personne ou pays, puissant ou misérable, est-il également pris en considération et écouté ? chacun bénéficie-t-il d’un même traitement et des mêmes droits, est-il soumis aux mêmes contraintes, aux mêmes exigences et aux mêmes sanctions ? Quand ceux qui n’ont pas les savoirs, les revenus ou les réseaux d’influence suffisants constatent qu’ils ne sont pas dans la pratique en mesure de faire valoir leurs droits, quand les abus de pouvoir sont monnaie courante et les recours sont inefficaces ou dissuasifs par leur coût et leurs délais, le sentiment d’équité disparaît.
Il importe souvent moins à une personne ou une communauté de savoir qu’une décision a suivi les voies légales que de vérifier que son point de vue a été écouté, entendu et pris en compte. Et c’est pourquoi les mécanismes démocratiques traditionnels, compatibles avec une tyrannie de la majorité, ne suffisent plus à garantir la légitimité de la gouvernance.
Cette question de l’équité est au cœur des difficultés de la gouvernance mondiale actuelle. Certes, le temps d’une démocratie mondiale réellement représentative n’est pas encore arrivé mais on peut d’ores et déjà faire beaucoup mieux que le système censitaire inégal qui prévaut actuellement où les pays les plus riches ont, notamment faute d’une fiscalité mondiale, le monopole du pouvoir. Système censitaire où le G8 se pose en directoire du monde, les USA en censeur ou en gendarme, où le pouvoir des actionnaires – privés dans le cas des entreprises, publics dans le cas des institutions de Bretton Woods – l’emporte de loin sur le pouvoir des citoyens. Système où les technostructures des pays riches et des institutions internationales ont le monopole de définition des termes de la négociation.
Pour être légitimes, les dispositifs de la gouvernance mondiale doivent avoir été réellement négociés avec toutes les régions du monde et être jugés équitables. Et, surtout, les priorités doivent correspondre aux préoccupations réelles des peuples les plus nombreux et les plus pauvres.
Tant que ce qu’il est acceptable ou non de négocier est fixé par les seuls pays riches (par exemple la circulation des biens oui, la circulation des personnes non ; les modalités de développement des pays pauvres oui, la remise en cause du mode de vie des pays riches, non ; les permis négociables oui, la propriété des ressources naturelles, non, etc), la gouvernance mondiale et les contraintes qui en découlent ne seront acceptées par tous les autres que du bout des lèvres. Tant que les pays riches, souvent sous l’influence de leurs acteurs économiques, prétendent au monopole des concepts (par exemple dans la définition de ce qui est marchandise et ce qui est bien public) et des stratégies (par exemple la promotion de grands équipements ou de techniques sophistiquées au détriment de solutions socialement plus adaptées), les autres peuples ne se sentiront pas impliqués, ni même engagés par ce que leurs élites administratives et politiques auront éventuellement négocié en leur nom.
L’équité commande, enfin, que les sanctions au non respect des règles soient dissuasives pour les plus puissants aussi. Ce n’est pas encore le cas, comme le montre l’exemple de l’OMC où les pays pauvres n’ont pas les moyens de connaître et de maîtriser la complexité des règles, de financer des actions contentieuses et, s’ils ont gain de cause, de faire appliquer des sanctions dissuasives contre un pays économiquement puissant. Pour que les sanctions le soient, elles doivent être automatiquement appliquées par l’ensemble des pays et pas par le seul pays lésé.
4. d) Être exercée efficacement par des gouvernants responsables et dignes de confiance
Au bout du compte et quels que soient les contrôles et les contre pouvoirs qui encadrent leur action et limitent leurs dérives c’est la légitimité des gouvernants – depuis les responsables politiques jusqu’aux fonctionnaires subalternes – qui fonde leur droit à imposer et à exiger au nom du bien commun. La légitimité d’un gouvernant, comme celle de tout détenteur de pouvoir, procède de plusieurs considérations : le pouvoir s’exerce selon les règles ; le pouvoir est dévolu à des personnes qui méritent de l’exercer (par leur naissance, leur histoire, leur compétence, leur expérience) ; le pouvoir est réellement utilisé au bénéfice du bien commun. C’est pourquoi la justiciabilité des gouvernants est essentielle, y compris au plan symbolique, pour garantir que ceux qui détiennent du pouvoir au nom de la communauté méritent la confiance placée en eux.
5. e) Appliquer le principe de la moindre contrainte
Comme la gouvernance impose à chacun contraintes, solidarités ou sacrifices au nom du bien commun, chacun doit pouvoir vérifier qu’ils n’ont pas été consentis en vain. Il n’y aurait pas d’art de la gouvernance s’il s’agissait seulement pour les citoyens de choisir entre plus d’unité et plus de diversité, entre plus de solidarité et plus de liberté. L’art consiste au contraire à obtenir à la fois plus d’unité et de diversité. Il pourrait se définir par le principe de la moindre contrainte : atteindre un objectif de bien commun en limitant autant que possible les contraintes imposées à chacun pour l’atteindre. La légitimité de la gouvernance sera d’autant plus grande qu’elle aura montré sa capacité à concevoir des dispositifs adaptés aux objectifs poursuivis.
Dès lors que les masses investissent la rue et le champ politique, c’est-à-dire enlèvent le monopole de la politique des mains d’une minorité, l’histoire a basculé dans la modernité. C’est la thèse de la philosophe allemande Hanna Arendt qui explique que l’histoire moderne a commencé avec l’irruption des masses dans le champ politique (Essai sur les révolutions). Certains slogans brandis par les manifestants en Algérie comme « seul le peuple est souverain » font écho à des théories politiques modernes.
Dans cette crise, deux camps s’opposent : le pouvoir qui demande le respect de la légalité et l’opposition ordinaire qui exige le retour à la légitimité. Quelle est la définition de ces deux notions et quel est leur rapport dans le champ constitutionnel ? La légalité est le cadre politico-juridique imposé par celui qui détient le monopole de la violence ; elle est liée à un pouvoir de fait. Un pouvoir oppresseur peut-être légal du fait qu’il s’impose par la force. Un système politico-juridique légal peut ne pas être légitime.
Le mot légalité est lié au mot loi qui est en général décrétée par un pouvoir d’Etat quel qu’il soit. Pour la science politique, toute loi, décrétée par un pouvoir d’Etat, est légale même si elle est injuste aux yeux de nombreux citoyens.
Tant que le pouvoir détient le monopole de la violence et a une administration et des services de sécurité pour s’imposer sa loi est considérée comme légale. Elle n’est pas pour autant légitime car la légitimité est l’idéologie par laquelle un régime se fait accepter sans recourir à la coercition physique contre un grand nombre. Un citoyen obéit volontairement à un responsable s’il considère qu’il est légitime pour exercer l’autorité publique et à donner des ordres au nom de l’Etat. De ce point de vue, toute légalité a besoin de légitimité. En régime démocratique, la légalité a pour base la légitimité électorale.
En régime autoritaire, la légalité ignore la légitimité et la combat par la violence d’Etat (police et justice) et par le trucage des élections. En un mot, ce qu’Haiti apprend aux étudiants de science politique, c’est que JOVENEL MOISE est un président légal illégitime.
La question à poser est jusqu’à quand ?