Depuis un certain temps, dans la République rien ne va. De la rareté du carburant aux mouvements de « pays lock », en passant par les fêtes de fin d’année et ses vertus refroidissantes jusqu’à la situation d’insécurité intenable en ce début d’année, le peuple haïtien a eu droit entre temps aux menaces réelles d’insécurité criantes, notamment le kidnapping.
En effet, depuis le début de l’année, une situation d’insécurité gangrenne le pays, entraînant avec elle, le kidnapping, un mal sociétal tellement redouté. L’insécurité, tacite à un moment dans des zones du territoire, a évolué et depuis devient ouvertement généralisée. Ce qui fait que des points autrefois jugés sûrs sont maintenant insécures. La faute à qui ? Je vous laisse répondre. Cependant, conséquemment à cet état de fait, un état global de peur, de ralentissement et de panique s’installe au sein de la population.
Le kidnapping, c’est quoi?
Selon son étymologie, Kidnapping vient de l’anglais «kid» enfant et «nap» saisir, ce qui signifie voler des enfants pour en faire des serviteurs ou des travailleurs. Mais, généralement c’est un enlèvement accompagné de demande de rançon, et ne concerne pas que des enfants. C’est un acte potentiellement dangereux.
Aussi, le kidnapping est une infraction réprimée par la législation haïtienne. En effet, l’article 293-1 du Code Pénal, modifié par le décret-loi du 27 Novembre 2008 stipule : « Seront punis de 15 à 25 ans de travaux forcés, ceux qui être revêtus de l’autorité publique, sans ordre légitime des autorités constituées et hors des cas prévus par la loi, se seront emparés par ruse ou persuasion, de gré ou de force, d’une personne quelconque l’auront enlevée et séquestrée en vue d’obtenir une rançon ou non. »
Cette sanction est la même pour toute personne qui aura aidé ou prêté sa maison ou tout autre élément pour la consommation de l’infraction.
Un phénomène recrudescent?
Dans la société haïtienne, ce phénomène ne s’inscrit pas dans l’ordre de nouveauté. De fait, Le kidnapping a fait terreur et défrayé la chronique durant la première moitié de la dernière décennie, particulièrement au cours de la période 2004-2007. Selon un document de la Direction des recherches de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, Ottawa, publié en 2008, on peut succintement se faire une idée de ce phénomène au cours de période citée. Ainsi, face à ce qui est en train de se produire actuellement, c’est évident de dire qu’il y a une réapparition du phénomène. Jusqu’à date, on a déjà répertorié plus d’une quinzaine de cas. Certes, ça commence à peine mais vu le rythme de son évolution, on peut dire qu’il y a une recrudescence du kidnapping dans le pays. Ce constat est dû à l’instantanéité de divulgation des cas de kidnapping en 2020, grandement assurés par les réseaux sociaux, ce qui occasionne un impact sérieux et laisse des séquelles importantes au sein de la société.
Il est à noter, toujours d’après le même document, que pour la période précitée, en plus des personnes riches qui risquaient d’être victimes d’enlèvements contre rançon, les victimes venaient de toutes les couches, même les marchands ambulants. Ceci pour dire que le kidnapping comme à l’heure actuelle n’avait pas de cibles précises. Tout le monde peut faire l’objet de kidnapping.
Situation de déliquescence généralisée !
Ce qui crée l’émoi chez les gens, c’est le silence au niveau des autorités de l’État malgré cette vague d’insécurité en général et de kidnapping en particulier. Après trois mois de pays lock qui ont causé l’arrêt presque total du pays et la mise à sac de l’autorité et de la légitimité du pouvoir en place, cette situation semble confirmer ce que tout le monde déclarait constater : un manque flagrant de contrôle et de gestion de la chose publique par l’État. D’où le concept d’État faible cher à Corten. En ce sens, face à cet état de non contrôle et au laxisme étatique, se développent des gangs armés, des zones pratiquement incontrôlables dénommées VAR, banalité ! des bandits qui font la loi dans le pays.
Or, en 2020, il n’y a pas deux façons d’aimer le peuple chers dirigeants et ainsi enclencher son développement. Quelques actions suffisent: assurer sa sécurité physique et matérielle pleine et entière ; son accessibilité à la nourriture, au crédit ; la démocratisation de la justice en la rendant plus rapide, moins onéreuse, moins chicanière et en assurant l’indépendance des juges comme le disait Roger Dorsinville en 1946; en tout, une meilleure gestion de la cité.
Au lieu de poursuivre les bandits, les forces spécialisées de la police nationale ont réprimés à coups de matraque, de balles en caoutchouc et de gaz lacrymogènes les écoliers et écolières qui manifestaient leur solidarité à l’égard de leur camarade kidnappée. Dans l’opinion publique, les forces de l’ordre sont perçues comme un allié de premier ordre des gangs criminels et les associations de kidnappeurs à travers le pays.
C’est en ce sens qu’après l’enlèvement du docteur Télémaque, le 28 novembre 2020, la police a sauvagement réprimé la manifestation de médecins résidents de l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH). L’un d’entre eux, un interne, y est grièvement blessé après avoir reçu en plein visage une bonbonne de gaz lacrymogène lancée par les policiers.
Il devient de plus en plus évident que la campagne de répression policière s’en prend ouvertement à toute forme de mouvement revendicatif contre les inégalités, la misère, l’insécurité et la corruption endémique dans le pays.
Le 20 janvier 2021 plusieurs milliers de personnes ont manifesté pour dénoncer l’instauration ouverte d’une autocratie et la volonté du régime au pouvoir de réécrire unilatéralement la constitution du pays afin de garder le pouvoir au-delà de l’échéance constitutionnelle du 7 février 2021.
Sachant pertinemment qu’il aura la caution des puissances impérialistes, le régime a mobilisé les principales unités de la police pour réprimer les manifestantes et manifestants. L’intervention policière s’est soldée par plusieurs dizaines de personnes blessées par balles dont de nombreux journalistes. Une vingtaine d’arrestations arbitraires ont également été effectuées.
Alors que le pouvoir s’investit à fond dans l’oppression et la répression de tout mouvement de protestation dans le pays, les chefs des gangs jouissent de la complicité des autorités dans les différents échelons du gouvernement. Ils bénéficient régulièrement de l’appui logistique de certaines unités de la police, dont la brigade d’opération et d’intervention départementale (BOID). Cet appui rend encore plus efficace leurs forfaits criminels contre la population. C’est le cas par exemple des différents massacres perpétrés dans les quartiers populaires de Port-au-Prince et des villes de province.
Les principaux chefs ont défilé librement et sans aucune crainte dans plusieurs rues et quartiers de Port-au-Prince le vendredi 22 janvier 2021 et ils y ont contraint les résidents de les accompagner. Alors qu’ils sont soi-disant recherchés par la justice pour des crimes commis contre la population, dont le carnage de La Saline, ils demeurent l’unique groupe autorisé à manifester par le pouvoir.
Il est clair maintenant que les gangs se transforment en une véritable force paramilitaire au service du pouvoir. À l’instar des milices de Duvalier, ils terrorisent les quartiers populaires, s’enrichissent au détriment de la population et occupent de plus en plus de place dans la société civile. Dans les faits, ces gangs qui se sont fédéré constituent la principale force de répression de l’équipe gouvernementale. Comme l’a clairement souligné Odma, l’un des principaux chefs de gangs opérant dans le département de l’Artibonite, « les gangs travaillent à la solde du gouvernement, des bandits ordinaires ne sauraient mener à bien une entreprise aussi lucrative que le kidnapping sans l’encadrement des autorités au sommet de l’État. »
Par ailleurs, plusieurs enquêtes menées par des organismes des droits humains sur le kidnapping auraient prouvé que des membres du gouvernement ainsi que des parlementaires seraient impliqués dans cette activité criminelle. Les cas du sénateurs Gracia Delva, membre du bureau du sénat et du sénateur Kedlaire Augustin, ancien conseiller du président, ne sont que des exemples parmi d’autres.
Ce n’est pas une simple coïncidence si les tenants du régime s’auto-définissent comme « bandits légaux ». Ce régime dépend désormais du fonctionnement des associations criminelles et mafieuses que contrôlent un cercle restreint d’escrocs et de brasseurs d’affaires. Ce qui explique pourquoi les infrastructures de télécommunications sont régulièrement utilisées pour faciliter la négociation des rançons au vu et sus de tous. Il en est de même des équipements publics, dont des véhicules immatriculés « service de l’État » et des uniformes de la police mis au service des gangs fédérés pour leurs opérations de kidnapping.
Tout ce drame social montre clairement que les individus au pouvoir ne se contentent plus de dilapider les fonds publics, ils s’associent, de surcroit, à des organisations criminelles pour extorquer la population. Des travailleurs et travailleuses déjà largement éprouvéEs par l’exploitation abjecte de l’oligarchie et des firmes multinationales, se trouvent au quotidien dans l’obligation de verser des rançons pour la libération d’un proche à des gangs criminels à la solde du pouvoir.
À part l’extorsion fort lucrative que procure le kidnapping, il y a également le climat de terreur qu’entretiennent ces activités criminelles. Les personnes enlevées sont parfois soumises aux tortures les plus sauvages avant d’être laissées pour mortes sur des montagnes d’immondices. Les femmes et les adolescentes sont souvent l’objet de viols collectifs à répétition avant d’être exécutés.
Soulignons pour finir que cette terreur n’a rien d’accidentel, elle fait partie intégrante de l’essence du régime au pouvoir et de l’attente de l’oligarchie haïtienne qui veut conserver le statu quo par tous les moyens. C’est pratiquement leur mode opératoire pour tenir en respect les travailleurs et travailleuses et les autres groupes opprimés de la société. C’est la meilleure façon de garantir les intérêts de cette oligarchie et des firmes multinationales dans le pays.