Le premier lundi d’octobre est la réouverture solennelle des tribunaux dans les dix (18) juridictions de notre pays. Malheureusement, l’une d’entre elles est à l’agonie depuis tantôt quatre (4) ans.
Traditionnellement, cet événement est marqué d’un bilan de l’année écoulée présenté respectivement par le Président de la Cour de Cassation, le Commissaire du Gouvernement près ladite Cour et le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats.
Cette année, le bilan du Barreau de Port-au-Prince est on ne peut plus mitigé. Vous connaissez la raison.
A quelques jours de la reprise des travaux judiciaires, les parquetiers près les tribunaux de Première Instance des dix-huit (18) juridictions en désaccord avec leurs supérieurs hiérarchiques, ont décidé de faire la grève. Elle a duré tout le premier trimestre. Une fois levée, d’autres événements politiques se sont succédé.
On se rappelle le fameux épisode du coup d’état du 6 février 2021 qui a valu la mise à la retraite de trois Juges à la Cour de Cassation suscitant l’arrêt de travail des magistrats assis. La décision gouvernementale du 16 mars 2021, décrétant l’état de siège dans la zone du boulevard Harry Truman, siège du Palais de Justice.
Une zone effectivement à haut risque dans laquelle les magistrats, les avocats, les officiers ministériels, le personnel administratif et de soutien, les justiciables guettent la mort à chaque fois qu’ils s’y rendent. D’ailleurs, des personnes ont été tuées dans l’enceinte même du Palais de Justice. Le maigre bilan des activités du Barreau est donc à ce prix.
Le tableau de réalisations du Barreau de Port-au-Prince pour l’année judiciaire 2020-2021 se présente donc ainsi :
1- Assistance légale avec JSSP
384 cas reçus, 183 libération, 8 condamnations, 193 dossiers en cours
Sur 88 sollicitations, 63 ont bénéficié d’une consultation.
2- Avec la Clinique Juridique supportée par le PNUD
159 consultations sont données
160
3- 99 élèves avocats des Promotions Georges Sylvain et Monferrier Dorval, sont admis en stage après le cycle de formation initiale de l’Ecole du Barreau.
4- 9 activités de formations académiques ont été réalisées sur des sujets variés notamment : Les avocats et le droit de la femme, la problématique de changements constitutionnels en Haïti, Etat de droit et la refondation de l’état de droit, Genre et équité, Blanchiment des avoirs, corruption, etc.
5- c’était l’année de mobilisation Justice pour le Bâtonnier Monferrier Dorval. Elle fut marquée de marches, sit-in, dépôt de gerbes, conférence de presse, conférence débats, mais surtout par les douze publications de mot sans oublier, toutes les démarches entreprises pour la constitution d’une Commission internationale d’enquête.
Je ne manquerai pas de remercier publiquement l’ancien Commissaire du Gouvernement Bed-Ford Claude qui avait tout fait pour saboter le dossier du Bâtonnier Monferrier Dorval. La justice ne meurt jamais. Nous ne baisserons pas les bras. Les Auteurs intellectuels, co-auteurs, complices et exécutants de ce crime crapuleux paieront. La Justice est une pour tous. Elle en profitera de la présence de l’ancienne première dame Martine Moise sur le territoire pour l’auditionner également dans l’affaire du Bâtonnier Dorval.
6- Et dans le respect du principe de l’alternance, vous êtes les témoins privilégiés de l’intronisation des nouveaux dirigeants de l’Ordre. C’est l’exemple à suivre par les politiques de ce pays. Le Barreau de Port-au-Prince laisse peu de place aux compromis accouchant des dirigeants intérimaires.
Onze (11) ans après le terrible tremblement de terre qui a détruit notre édifice, Jamais un effort n’a été fait pour reconstruire l’immeuble à part la pose de la première pierre avec grand renfort de publicité. Le bâtiment situé au boulevard Harry Truman logeant le Palais de justice est aussi inadéquat, en dépit de l’estampille ZONE ROUGE. Il est toujours complètement inondé après chaque averse. La bibliothèque du Barreau a perdu quasiment tous ses ouvrages. On ne peut faire de l’ancien local de la USAID un tribunal. Il faudrait savoir pourquoi ses propriétaires ont déménagé?
La délocalisation du Tribunal est importante. Le Barreau de Port-au- Prince ne cessera jamais de la réclamer. Situé dans le quartier le plus mal famé de la capitale, à quelques pas de ce faubourg abusivement dénommé village de Dieu ou l’horreur règne en maître. Un peu plus loin vers le nord se trouve la Saline ou un véritable code de la délinquance est en application par une poignée d’édiles ayant droit de vie et de mort sur quiconque s’aventure sur leur territoire, aller au Tribunal relève du défi.
Toutes les autorités du pays, légitimes ou de facto ont été saisis de la question. Feu le président de la République, tous les premiers ministres de ces deux dernières années ont entendu le cri des avocats, des auxiliaires de la justice, des juges, des justiciables, des centaines de prisonniers, des femmes maltraitées, des enfants abandonnés, des victimes de spoliation, d’escroquerie, d’accidents, d’abus d’autorité, de viol, de vol. Hélas, ils se sont moqués de leurs suppliques.
Quant aux ministres de la justice, il serait fastidieux d’énumérer les rencontres et les correspondances qui leur ont été adressées pour demander la relocalisation du Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince. “On ne doit pas fuir” a toujours été leurs réponses. A croire qu’ils se sont tous donné le mot en héritage. Pourtant ils ne s’y rendent pas, même en blinder. Pourquoi c’est aux avocats d’y faire face.
D’ailleurs combien d’agents d’unités spécialisées de la PNH ont laissé leur peau pour avoir osé pointer leur nez dans les parages! Certains ont été capturés, jugés, exécutés, mis en terre sous le regard impassible de la mère justice devenue la marâtre de ceux qu’elle devait protéger et défendre.
Notre serment est différent de ceux du Président et des policiers, pourquoi nous, pourquoi nous devons rester les cibles des gangs armés
Toutes les tentatives de notre valeureux Doyen, se sont soldées par un échec.
L’unique exception a été le ministre Vincent qui a semblé souscrire finalement à la requête. Sous le bénéfice du doute le temps lui a fait défaut.
J’avais rencontré le ministre ad intérim de la justice, présent devant moi ce matin- qui a eu la bonté de me recevoir immédiatement en dépit d’un agenda débordant et je le remercie encore. Un seul point a été débattu. Pendant tout le temps, le ministre et le directeur de la police qui se trouvait sur les lieux, ont discouru sans ménagement comme les autres. La rengaine n’a pas manqué grand-chose. Je suis sorti de cette rencontre déçue, confuse. Mais toujours motivée à solliciter et à obtenir la délocalisation du Tribunal.
Voilà pourquoi, ce matin, en cette audience inaugurale, le Barreau de Port-au-Prince, la communauté juridique de la juridiction de Cour d’appel de Port-au-Prince, par mon organe, vous saurait gré Monsieur le Ministre de la Justice et de la Sécurité Publique, de mettre à exécution l’engagement de votre prédécesseur.
La justice a besoin d’un environnement serein pour dire le mot du droit. Le bicentenaire n’offre plus cette garantie il y a de cela plus de deux ans. Si nous voulons effectivement que les tribunaux soient efficaces et efficients dans la distribution d’une saine et impartiale justice, la délocalisation du TPI de Port-au-Prince est à cet instant même un imperium.
Dites vous Monsieur le Premier Ministre, et chacun des membres de ce gouvernement présents dans cette salle où les futurs membres du Nouveau gouvernement, puisqu’on en parle, dites vous que « la délocalisation du Palais de Justice est la pochette de sang que l’équipe chirurgicale attend pour sauver la vie de votre enfant actuellement sur civière de la salle d’opération ».
Le défi institutionnel que vit le pays depuis le deuxième lundi de janvier 2020, accentué avec l’assassinat du Président de la République Jovenel Moise dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021, est un sujet de grande préoccupation pour le Barreau de Port-au-Prince.
A ce vide constitutionnel, les forces politiques, opposition d’autrefois et actuelle opposition, des entités de la société civile se mesurent, à travers des accords de désaccords, pour la gouvernance de la République. Ce qui est préoccupant, rien ne semble augurer dans les différentes initiatives une volonté de revenir à la normalité constitutionnelle. Mais, également poser des jalons pour qu’Haïti n’ait plus à revivre ces épisodes de régime d’exception. Je suis vraiment confuse.
Il est vrai qu’il existe des théories dérogatoires légitimant l’adoption de mesures particulières en situation exceptionnelle. Cependant, je ne peux mon appréhension devant la pétition des magistrats de l’ordre judiciaire sollicitant de l’administration intérimaire la prise de fonction des membres du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire. Ma préoccupation est d’autant plus grande pour les justiciables peuvent se retrouver devant des juges, tout puissants, ne répondant disciplinairement devant aucune instance. Puisque les autorités disciplinaires doivent l’exercice de leur fonction à la pression de ces juges sur le pouvoir exécutif, a travers le Conseil des Ministres agissant sous la présidence du Premier ministre. L’intérêt de cette démarche est on ne peut troublante pour le Conseil de l’Ordre des avocats de Port-au-Prince.
Cette pétition me trouble davantage quant à l’exercice de la profession d’avocat. Mesdames, Messieurs, les Juges, les Commissaires et Substituts Commissaires. A cette tribune et à pareille date, depuis environ une décennie, il y a une revendication qui revient toujours : La concurrence des avocats par des magistrats assis et débouts dans leurs pratiques professionnelles. Des plaintes n’ont pas été suivies d’effets. Je crains que les membres du CSPJ soient en mesure de poursuivre ceux-là de qui ils tiennent l’effectivité de leur pouvoir. J’espère sincèrement, aussi bien pour la sérénité de la justice, la protection du public et la sécurité professionnelle des avocats, ne pas avoir raison.
Mesdames, Messieurs les juges, je vous exhorte, comme l’a déjà fait votre feu Président. Restez loin de la politique active. On est embarrassé, à tort ou à raison, d’entendre l’émission de mandats d’amener, de mesures d’interdictions de départ, voire même l’arrestation de Juges à la plus Haute instance judiciaire. Un magistrat de l’ordre judiciaire ne peut et ne doit pas avoir de position politique publique. Car, de par sa fonction, il peut être appelé à connaitre du cas sur lequel, il avait jadis émis une opinion.
Les magistrats ne peuvent et ne doivent pas se lancer dans une bataille d’opinions à l’instar des politiques. Laisser la politique aux politiciens à moins de choisir de les rejoindre dans leur arène en démissionnant. C’est le droit de tout citoyen de participer aux activités de son pays mais avec toutes les conséquences liées à la déontologie des magistrats.
Je suis pour de meilleures conditions de travail aux magistrats. Il faut les mettre à l’abri de la corruption et de toutes les tentations. Mais, je suis aussi pour leur discipline et surtout leur neutralité et leur indépendance.
Chers collègues du Barreau de Port-au-Prince. Je vous invite également à la retenue dans vos prises de positions publiques. Les règlements du Barreau de Port-au-Prince reconnaissent le droit d’un avocat de communiquer avec le public sur un dossier en cours mais dans la forme et les conditions définies par lesdits règlements ainsi que le Décret du 29 mars 1979 sur la profession d’avocat. Vous êtes donc avertis que les écarts ne sont pas tolérés.
J’en appelle également aux membres des syndicats d’avocats qu’ils ne sont pas en rivalité avec le Conseil de l’Ordre. Trop souvent, ils ont eu à prendre des positions contraires à l’éthique de la profession d’avocat. La liberté syndicale ne peut pas s’exercer en violation des règles régissant l’exercice de la profession d’avocat.
J’ai un mot spécialement pour le Doyen du Tribunal de Premiere Instance de Port-au-Prince Magistrat Bernard Saint-Vil qui a toujours été d’une collaboration sans faille.
Chers compétiteurs déclarés et ceux qui se sont désistés au dernier moment, je vous remercie d’avoir donné encore du sens aux dernières compétitions. Je considère vos participations comme un témoignage d’intérêt pour les activités du Barreau de Port-au-Prince, voila je vous convie à me rejoindre, pour un Barreau de Port-au-Prince uni, protecteur du public et défenseur des droits et intérêts de tous les membres de la corporation.
A vous chers collègues du Conseil, je n’ai vraiment pas de mots pour traduire ma gratitude à votre égard. Vous avez été jusque la d’une collaboration exemplaire. Redoublons d’efforts pour la réussite de ce nouveau mandat.
A l’équipe de campagne, Merci pour le succès.
Au personnel administratif et de soutien merci pour tous vos sacrifices et votre collaboration.
Je voudrais terminer en sollicitant du Doyen la désignation d’un autre juge d’instruction sur le dossier de l’assassinat de Me Monferrier Dorval, en réaffirmant la demande du Barreau au Pouvoir Exécutif de la formation d’une Commission d’enquête internationale et lui réitérant également la délocalisation du Palais de Justice.
Au nom du Barreau de Port-au-Prince et en mon nom propre, je souhaite aux magistrats assis et débout, aux avocats, aux officiers publics, au personnel administratif et au petit personnel
Une Année judiciaire 2021-2022 de reprise effective des travaux judiciaires