Il y a de cela 36 ans (1986), la très grande majorité des Haïtiens se réveillait en apprenant le départ du président à vie Jean-Claude Duvalier et la fin de la dictature de 29 ans conduite par son père et lui-même.
Dire que la majorité des Haïtiens dormait quand la famille présidentielle prit l’avion est vrai, au propre et au figuré.
Les Haïtiens dormaient. D’autres étaient à la manœuvre.
La transition n’avait été ni préparée ni construite. Dans la nuit, un Conseil national de gouvernement de six membres (quatre militaires : Henri Namphy, William Régala, Prosper Avril, Max Vallés et deux civils : Alix Cinéas, Gérard Gourgue) recevait le pouvoir transmis par Jean-Claude Duvalier.
Intronisé le matin du 7 février, le Conseil national de gouvernement première version sauta le 21 mars et fut réduit à trois membres dont seulement deux y étaient au départ de Duvalier.
L’incertitude commença ainsi.
Depuis 1986, le pays cherche sa voie et comment gérer le pouvoir et l’apprentissage démocratique. Transmission du pouvoir et gouvernance.
Si l’exercice du pouvoir attire tous les politiciens d’expérience et les autres, l’apprentissage démocratique est souvent oublié. La transmission du pouvoir pacifiquement bégaye trop souvent. La gouvernance renvoyée aux calendes grecques.
La population n’a pas été instruite à la démocratie et les acteurs politiques font tout depuis 1986 pour la réduire à sa plus simple expression. Lavi miyò qui devait suivre avec la bonne gouvernance ne vint jamais. Il ne reste aujourd’hui que la liberté d’expression comme conquête du 7 février 1986.
En 2022, le pays se retrouve dans la pire des situations que l’on pourrait vivre avec des forces politiques atomisées, des egos surdimensionnés, des principes démocratiques asthmatiques et un sens des responsabilités qui a perdu le nord.
Nos acteurs politiques, tout autant qu’ils sont, ont oublié la population et le pays dans l’échafaudage de leurs rêves de pouvoir et dans l’exercice qu’ils font de la gestion de la chose publique.
Ce 7 février 2022, comme hier le 7 février 2021, le pays n’a jamais été aussi éloigné des légitimes ambitions qu’il serait nécessaire de nourrir pour lui. Difficile de compter combien de présidents et de premiers ministres sont sur le béton ou dans l’imaginaire des uns et des autres.
Les Haïtiens vont encore une fois dormir en espérant que demain sera meilleur. Nous risquons de nous retrouver encore une fois avec des projets irréfléchis. Un bricolage. Un pis-aller. Et des incertitudes à n’en plus finir.
Comme avant la chute des Duvalier, les forces politiques refusent de penser l’avenir en projet commun. Refusent de penser, tout simplement.
En 1986 et les années qui ont suivi à chaque fois, un avion et des avis de nos amis de la communauté internationale (les Américains, pour ne pas les citer) décident du sort de nos politiciens, sifflent la fin des matchs. Aujourd’hui nos politiques attendent tous un tweet de nos grands amis pour se mettre ou rester en selle.
La classe politique comme en 1986 n’a ni destination, ni boussole, ni carte. Aucun principe, peu de rêves pour le pays et trop d’imagination au service de leur personne.