C’est notre point de vue que l’absence de réflexion critique bloque toute remise en question de notre place dans le monde, de notre rôle dans notre propre région et de l’organisation de notre société. Nous aurons beau parler de recyclage de nos cadres de référence. Hélas ! Il nous faut tout simplement la pensée. Une pensée économique intégrée à la politique pour se débarrasser du modèle qui reproduit la misère pour le plus grand nombre. Suivant ce cheminement, la récurrence des cataclysmes naturels offre le meilleur prétexte pour un ensemble d’actions publiques. Ce n’est plus donc à démontrer qu’une meilleure organisation territoriale représente une exigence du développement. En ce sens, un schéma régional d’aménagement et de développement durable représente un document stratégique, prospectif et intégrateur. Il recommande les orientations fondamentales et horizons temporels du développement durable d’un territoire et ses principes d’aménagement dans un contexte régional.
Une vision novatrice :
Puisqu’il s’agit de formuler des propositions, le tremblement de terre du 14 août 2021 offre un minutage impeccable pour coordonner les réflexions et justifier la mise en place d’une série de dispositifs en faveur de l’aménagement de la péninsule du Sud. En prenant appui sur la spécificité méridionale, il s’agit de mettre ici en exergue certains éléments de constat déterminants afin de replacer la péninsule du Sud au cœur d’une Haïti caribéenne. Parce que l’histoire a souvent brouillé les cartes, les péninsulaires doivent réaffirmer l’économique comme un choix crucial. D’abord historiquement arraisonnée par des enjeux géostratégiques, puis confrontée à une politique du déni, la péninsule du Sud a toujours affirmé sa détermination à durer malgré une trajectoire imprimée par les désastres naturels. Son existence s’est malheureusement vu sans cesse opposer l’exercice de l’incompréhension et parfois celui du mépris.
Il s’agit donc de lancer un appel citoyen pour hisser le politique à son plus haut degré de responsabilité, celui d’un pouvoir d’action économique assumé et apte à transformer. En tout état de cause, l’économique, le scientifique et le politique doivent enfin éclairer les choix éthiques de péninsulaires actifs et engagés dans la reconstruction de leur région. Dans ce processus, chaque péninsulaire doit être à la fois une ressource et un lien, assurant ainsi la vitalité et la cohésion de leur territoire. Pour dire les choses autrement, l’exigence d’un avenir partagé doit pousser à l’incontournable innovation pour en finir avec ce qui entrave la croissance économique et le développement durable. Se porter à la hauteur de cette responsabilité implique une détermination plus résolue et nécessite une vision d’ensemble du territoire de la péninsule du Sud et de sa reconstruction dans un cadre multidisciplinaire.
Sans ignorer les réalités des allégeances, les péninsulaires doivent s’appuyer sur les atouts et attributs de leur région pour répondre aux urgences et exigences. Comment trouver les moyens pour créer la croissance et le développement ? Où travailler ? Où habiter ? Comment préserver et améliorer la qualité de vie et de l’environnement ? Parmi d’autres questions pertinentes figure la participation de la diaspora au processus de reconstruction. Quels sont les mécanismes à mettre en place pour mobiliser l’épargne nationale en diaspora en vue de financer un nouveau modèle économique haïtien ? Comment rapatrier la connaissance et mettre à profit l’expertise des expatriés ? Autant de questions auxquelles ils doivent trouver les réponses et avancer des propositions.
Cependant il incombe de ne pas persister dans la commisération délétère et l’assistance mortelle. Après le séisme du 12 janvier 2010, on se rappelle comment les bonnes affaires philanthropiques avaient prospéré. Il importe surtout de rompre avec le folklorisme politique. Ici, nous croyons entendre Sartre nous dire qu’« on peut toujours faire quelque chose de ce qu’on a fait de nous ». Question de rappeler qu’il faut voir une opportunité dans chaque difficulté et chaque malheur. En d’autres termes, une toute autre approche s’impose par rapport aux fonds d’assistance et particulièrement au prêt concessionnel de 224 millions de dollars à un taux concessionnel de 0,05 % tel qu’annoncé par le Fonds monétaire international (FMI) . Ces montants doivent prévoir une enveloppe substantielle pour la reconstruction de la péninsule du Sud.
Dans le cadre de ce projet pilote de territoire que nous préconisons, les exigences de maximisation durable du potentiel de la région méridionale doivent être réintroduites dans le devenir d’Haïti comme échelles de référence. La reconstruction de la péninsule doit être planifiée en conformité avec une politique de population pour trouver l’équilibre entre le besoin en capital humain et l’explosion démographique. Le double séisme d’août 2021 offre la chance à prendre pour enfin définir une politique de l’habitat, produire une offre nouvelle de logements parasismiques et anticycloniques, agir sur l’existant ou entreprendre d’autres actions telles que le renforcement des codes de construction. Plus qu’une simple escale, la péninsule du Sud doit devenir une destination favorable à l’investissement. En ce sens, ses qualités et attributs géostratégiques lui confèrent un rôle de premier plan, en plus de sa vocation touristique naturelle. Pour nous, la création du pôle méridional de croissance représente une étape décisive de l’incontournable décentralisation d’une économie haïtienne en mal de diversification.
Alin Louis Hall