Depuis le milieu de la première décennie du 21e siècle, la Gourde (monnaie nationale haïtienne) a connu un cycle de dévaluation sans précédent. D’un taux de change avoisinant 25 Gourdes pour un dollar longtemps en vigueur, la Gourde est passée au-dessus du seuil de 40 Gourdes pour un dollar US dans un pays où la majorité de biens consommés est importée des Etats-Unis. Ainsi, petit à petit, la monnaie haïtienne abandonne définitivement le vieux rêve tant caressé du retour de la parité avec le dollar américain.
La croissance de l’économie haïtienne
La force d’une monnaie d’un pays est l’un des indicateurs qui permet de mesurer la force de son économie. Dans le cas d’Haïti, le pays a vécu des instabilités politiques dès le début des années 2000. D’un côté, cela a eu des impacts négatifs sur la capacité du pays à attirer des investissements extérieurs. De plus, l’absence d’une politique favorisant l’investissement local et la difficulté d’accès au crédit ont empêché les Haïtiens eux-mêmes d’investir dans leur pays.
Devant cet imbroglio économique et prise entre les étaux des luttes incessantes de la classe politique, Haïti a connu l’un des plus faibles taux de croissance parmi les pays de la Caraïbe en 2012: 2.9%1. En 2014, l’ensemble de ces pays a bénéficié de 8000 millions de $ d’investissements asiatiques, seuls 100 millions ont été investis en Haïti.
D’un autre côté, le gouvernement n’a pas les moyens nécessaires pour augmenter ses dépenses pour propulser l’économie nationale. La faiblesse des institutions existantes et l’absence de nouvelles institutions qui devraient, longtemps, être créées pour s’adapter au contexte de l’économie mondiale rendent le pays vulnérable et incapable de faire face au nouveau défi de la mondialisation. L’économie haïtienne devient ainsi dépendante de la consommation des ménages, elle-même, dopée par un financement à hauteur de près de deux milliards de dollar américain de la diaspora haïtienne.
Contexte économique et politique
Cette faiblesse de l’économie haïtienne et l’absence de croissance soutenue au fil des années a provoqué la dégringolade de la Gourde d’années en années. Ce phénomène n’est pas nouveau. Il est tout simplement arrivé aujourd’hui à une phase critique où il interpelle d’autres secteurs de la vie nationale ainsi qu’une bonne partie de la jeunesse haïtienne.
Les gouvernements successifs n’ont jamais compris la nécessité de doter le pays d’un plan de redressement viable capable d’assurer un avenir meilleur aux haïtiens. Ils n’ont jamais été, non plus, en mesure de rassurer les investisseurs étrangers et de favoriser l’émergence de nouvelles PME locales. Les mandats se succèdent aux mandats, laissant aux Haïtiens les souvenirs amers des conflits d’intérêts entre les pouvoirs exécutif et législatif et de l’inefficacité des différents organes de l’état.
La Gourde et le contexte international
La Gourde est fixée au dollar depuis fort longtemps. Toutefois, avant 1971, les accords de Bretton Woods garantissaient la stabilité de la monnaie haïtienne. Mais, après l’abandon des accords de Bretton Woods le 15 Août 1971, la Gourde, comme beaucoup d’autres monnaies, a perdu sa stabilité et a dû faire face aux fluctuations du dollar américain.
Sa plus récente chute est surtout due à la force du dollar américain qui bénéficie de la reprise de cette économie. Pendant qu’aux USA, la croissance revient après des trimestres de scepticisme, l’économie haïtienne patine, dû à l’absence d’un plan de développement économique durable et viable.
Quelles perspectives d’avenir pour la Gourde ?
Si quelques pays peuvent profiter de la faiblesse de leur monnaie pour augmenter leurs exportations car les produits locaux deviennent moins chers aux yeux des étrangers, Haïti n’a qu’à se plaindre de cette situation, étant donné que sa balance commerciale est négative. Les prévisions de croissance de l’économie américaine sont positives, le dollar américain va demeurer probablement fort sur le marché.
Aujourd’hui, ce qu’il faut retenir de la chute de la Gourde n’est pas les frustrations exprimées comme si un sheriff se levait un bon matin et fixait le taux de change. Ce dernier dépend aussi de la force et de la faiblesse de l’économie. Avec une balance commerciale prévue à -6,1%1 (en % du PIB) pour l’année 2015, l’avenir ne s’annonce pas plus radieux. Comble de malheur, le revenu annuel brut par habitant se situe aux environs de 810$ US2, le taux de change actuel ne fait que présager une baisse de la consommation nationale et donc du PIB.
Cette descente aux enfers de l’économie haïtienne devrait, plutôt, être l’occasion de lancer un cri du cœur aux dirigeants et à la classe politique du pays leur demandant de cesser de plaisanter avec l’avenir d’une nation dans laquelle 58.5%4 de la population vit au seuil de la pauvreté.1 On devrait leur demander de doter la nation haïtienne d’un plan de développement et de croissance durable capable d’assurer aux fils du pays un avenir meilleur.
C’est le plus noble et le plus grand moyen de redorer le blason de la monnaie haïtienne.
Publié par Jeiel-Onel J. Mezil
*Les données statistiques utilisées dans ce texte ont été puisées de la base de données de la Banque Mondiale.
Publication ‘’Latin and America’’ de la Banque Mondiale, année 2015, chapitre 2