« Sans enquête, on n’a pas droit à la parole » écrivit le président chinois Mao. Par voie de conséquence, les observateurs armés de probité intellectuelle restent avares en paroles ; parce que moins outillés que les gendarmes-enquêteurs. Une correcte prudence au-delà de laquelle cette affaire apparaît – pour emprunter le vocabulaire de la photographie – comme un révélateur.
En effet, le cocktail de mœurs et de politique installe tout pays à la croisée des chemins du sérieux et du sordide. D’où l’impérieuse nécessité pour les élites politiques d’haiti de faire le choix consensuel de hisser notre pays vers les hauteurs ou alors de prendre l’option qui consiste à le rabaisser dans les bas-fonds. Autrement dit et de façon interrogative : veut-on arrimer la scène politique au firmament clair ou dans les marécages toujours boueux ? Puisque c’est le dictateur Jovenel Moise qui tient le haut du pavé de l’actualité peu ragoûtante du weekend, faut-il lui rappeler (sans une once de haine mais avec un brin de pédagogie) que la politique demeure un métier hautement noble mais grandement infernal. À côté des idéaux sublimes, il y a l’effroyable arène des gladiateurs. Ces gladiateurs qui donnent des coups et encaissent des coups.
Lui-même, ancien president Jovenel Moise , a envoyé des crochets bien ajustés qui ont stoppé net l’essor politique et déraillé l’espoir. Donc le leader n’ignorait pas et n’ignorera jamais que les adversaires sont inlassablement aux aguets, prêts et prompts à lui administrer les rudes uppercuts qui l’enverront dans les cordes.
N’ayant pas les éléments d’informations me permettant d’avoir une opinion élaborée et valable sur cette sordide affaire de massage, je me contente de rappeler, aux uns et autres, les grandeurs et les misères de l’engagement politique. À ce propos, l’arbre des privilèges ne doit pas cacher la forêt des sacrifices.
Pour marcher triomphalement sur un chemin truffé d’écueils, de récifs et de gouffres, l’homme politique ambitieux accepte d’emblée de vivre comme un moine trappiste c’est-à-dire enfermé dans une sorte de monastère familial (madame et les enfants) qui le préserve de la ville et de ses tentations. En une formule choc, disons qu’entre le Palais et le lupanar, l’acteur politique doit choisir, sans prendre le risque fatal de tricher. Surtout quand il est opposant. Bien entendu, les hommes de tous bords ont leurs forces et leurs faiblesses difficiles à réguler. C’est pourquoi l’Histoire est ponctuée de faits retentissants. Y compris dans les pays où le catéchisme politico-moral est plus sévère et plus accablant pour toutes les personnalités de premier plan .
Environ 62% des chefs d’État haïtiens ont été renversés ou assassinés au pouvoir, selon une étude de Politichotech. Cela a favorisé la prolifération de gouvernements éphémères, qui pour la plupart ont terminé dans le sang.
Ainsi, le président Sylvain Salnave a été fusillé en janvier 1870, après seulement trois ans au pouvoir. D’autres présidents comme Jean Pierre Boyer (1776-1850), Fabre Geffrard (1806-1878), Denys Légitime (1841-1935), entre autres, ont été contraints à la démission et à l’exil.
Les soulèvements de l’armée ou de groupes révolutionnaires comme les Piquets et les Cacos n’ont pas été les seuls événements qui ont conduit à des assassinats de chef d’État. Parfois, c’est le peuple lui-même qui a attenté à la vie de ses élus.
Ainsi, après environ 4 mois au pouvoir, le président Vilbrun Guillaume Sam est lynché par une foule en colère, le 27 juillet 1915. Cet événement tragique et l’instabilité chronique du pays ont amené l’occupation américaine du pays, dès le 28 juillet de la même année.
Si pendant l’occupation américaine, il règne un semblant de stabilité, le pays ne restera pas aussi calme au départ des occupants. Les soubresauts politiques recommenceront à la fin de la présidence de Paul Eugène Magloire (1907-2001).
À la suite d’une crise politique qui avait provoqué la chute du président Paul Eugène Magloire, en 1956, le pays connaît trois présidents en 1 an. Mais le 22 octobre 1957, François Duvalier (1907-1971) devient président. Il restera au pouvoir jusqu’à sa mort, après avoir modifié la constitution de 1964. Il désigne par avance son successeur, Jean Claude Duvalier (1951-2014), en réduisant à 18 ans l’âge pour être président du pays. Le jeune Jean Claude Duvalier dirigera le pays à son tour jusqu’en 1986, l’année où il est renversé.
Cette chute du duvaliérisme, loin d’apporter la stabilité au pays, va accoucher des évènements les uns plus sanglants que les autres. De 1986 à 1991, le pays connaît une succession de coups d’État, dans lesquels l’armée jouera un grand rôle. Leslie François Manigat (1930-2014), premier président issu d’élections, après les Duvalier, prend le pouvoir en février 1988. Quelques mois après, en juin de la même année, il est renversé par un coup d’État militaire à la faveur de Henry Namphy (1932-2018).
Le lieutenant général Henry Namphy ne fera pas long feu sur le pouvoir. Lui aussi il connaîtra l’humiliation d’être chassé. Dans la nuit du 17 au 18 septembre 1988, une partie de l’armée, la garde présidentielle, organise un coup d’État qui verra Prosper Avril, un autre militaire, arriver au pouvoir. Ertha Pascale Trouillot, juge à la Cour de Cassation, remplace Prosper Avril, suite à la démission du militaire. Elle a pour mission d’organiser de nouvelles élections. La présidente provisoire s’acquitte de ses responsabilités et le 16 décembre 1990, Jean Bertrand Aristide est élu président d’Haïti.
L’ancien prêtre de l’Église catholique a une place particulière dans la liste des chefs d’État renversés du pouvoir. Il a subi au moins trois coups d’État. Le 16 décembre 1990, les élections organisées par Ertha Pascale Trouillot le portent à la tête du pays. Le 7 février 1991, il est officiellement investi du pouvoir exécutif. Un mois avant son investiture, Roger Lafontant (1931-1991), ancien chef des tontons macoutes, tente un coup d’État qui ne réussit pas. Quelques mois plus tard, le 30 septembre 1991, une nouvelle tentative de putsch réussit. Le général Raoul Cedras prend le pouvoir temporairement. Jean Bertrand Aristide est chassé et exilé au Venezuela puis aux États-Unis d’Amérique. Il reviendra en 1994 reprendre les rênes de l’État, grâce à l’intervention des Américains.
Le 26 novembre 2000, Jean Bertrand Aristide est à nouveau élu président d’Haïti sous la bannière de son parti Fanmi Lavalas. Les élections, décriées par l’opposition, deviennent dès lors une pomme de discorde entre ses adversaires et lui. Les tensions montent. Pendant toute la durée de sa présidence, le pays connaît une instabilité grandissante. L’opposition, regroupée au sein de la convergence démocratique, travaille à son départ. En 2004, Guy Philippe, ancien commandant de Police, à la tête d’un groupe paramilitaire lourdement armé, marche sur Port-au-Prince. Entretemps, les tentatives de dialogue et d’accord entre le président et l’opposition ne passent pas. Le 29 février 2004, Jean Bertrand Aristide est contraint de quitter le pouvoir. Il subit son 2e coup d’État, qui est en même temps le dernier putsch en date.
En définitive, cette affaire effarante renseigne, à la fois, sur le déficit de savoir-faire et l’amateurisme bien partagés. Car, en effet, c’est par une série de maladresses que le dictateur Moise et ses conseillers ont catapulté sur orbite.
Au demeurant, la position politique subitement exceptionnelle et privilégiée , tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.
La situation politique en Haïti devient de plus en plus critique. Des partis de l’opposition ont nommé, dans la nuit du 7 au 8 février, un dirigeant de transition face au président contesté Jovenel Moïse, qu’ils accusent de vouloir prolonger illégalement son mandat.
Dans un message vidéo transmis dans la nuit à l’AFP, un magistrat de 72 ans, Joseph Mécène Jean-Louis, membre de la Cour de cassation depuis 2011, lit un court discours dans lequel il déclare “accepter le choix de l’opposition et de la société civile pour pouvoir servir (s)on pays comme président provisoire de la transition”.
Cet acte de l’opposition intervient quelques heures après ce que l’opposition politique, le pouvoir judiciaire et nombre d’organisations de la société civile ont considéré être le dernier jour au pouvoir de Jovenel Moïse. Certes, tous les coups sont permis ou tentés en politique : coups directs, coups obliques, coups fourrés, coups bas, coups de Jarnac etc.
Toutefois,
Quoiqu’une appréhension, encore une fois, d’une intelligence spirituelle rare comme l’avait fort bien compris ce père de l’intelligentsia du pays qu’est Jean Price-Mars, écrivant dans Ainsi parla l’Oncle :
L’Haïtien : un peuple qui chante et qui souffre, qui peine et qui rit, un peuple qui rit, qui danse et se résigne […]. Il chante l’effort musculaire et le repos après la tâche, l’optimisme indéracinable et l’obscure intuition que ni l’injustice, ni la souffrance ne sont éternelles et qu’au surplus rien n’est désespérant puisque « bon Dieu bon ». (Price-Mars, 1973 [1928] : 68.)