Les Haïtiens ont commencé à prendre d’assaut les rares supermarchés encore ouverts pour faire des provisions pour les prochains jours, craignant que le climat déjà tendu bascule.
Félix Séguin, envoyé spécial de TVA Nouvelles en Haïti, se trouve dans la perle des Antilles depuis un peu plus de 24 h, et il constate déjà l’instabilité qui règne depuis l’exécution du président Jovenel Moïse dans la nuit du 6 au 7 juillet. C’est un commando qui aurait fait irruption dans la résidence de M. Moïse avant de l’abattre.
L’épouse du président tué, Martine Moïse, qui a été blessée, a été transportée à Miami, en Floride. Elle a dit samedi, dans une déclaration audio partagée sur son compte Twitter, «que c’est 25 ans d’amour qui sont partis en quelques minutes», a résumé Félix Séguin.
Selon lui, l’instabilité politique et la question de la sécurité sont les principaux enjeux qui préoccupent le peuple haïtien.
Les gangs criminels, qui faisaient déjà des ravages en Haïti, jouissent d’encore plus de liberté depuis que le gouvernement du pays a été déstabilisé par l’assassinat du président Moïse.
«La société haïtienne a été modifiée dans son ADN et est plus dysfonctionnelle que jamais», a résumé le journaliste.
Pour Félix Séguin, il est clair que le pays se trouve à un point de bascule.
«On regarde de quel côté le pendule penchera», a-t-il expliqué.
Félix Séguin rappelle que ce que vit Haïti présentement est un état de siège, qui confère plus de droits au gouvernement, mais qui rend aussi la vie plus dangereuse dans le pays.
Il témoigne que les gens ne sortent pas la nuit et que plusieurs quartiers sont d’ailleurs à éviter.
«À partir de 18 h-19 h, il n’y a plus personne dans les rues», a relaté Félix Séguin.
Un témoin jamais rencontré
Sur les collines érodées de Pelerin 5, à quelques mètres de la résidence présidentielle, c’est presque la vie normale. Une normalité qui cache un grand drame. Le soir du meurtre, Jean-Claude, un jardinier, croyait que des voleurs venaient de s’en prendre au président. Il dit avoir vu des membres de la police nationale haïtienne se changer et fuir dans les minutes suivant l’attaque.
Fait surprenant, jamais Jean-Claude n’a été rencontré par les enquêteurs.
«Le rythme cardiaque de ma fille était irrégulier, affirme-t-il. Personne n’a dormi depuis. Un président, c’est un président dans tous les pays, et on doit les protéger», dit-il.
Stanley Gaston, un des avocats les plus en vue d’Haïti et ancien bâtonnier de Port-au-Prince, doute de la capacité de la justice à punir les coupables.
«Ici en Haïti, c’est une vraie préoccupation parce que la justice haïtienne a malheureusement un passé en ce sens. Et la police, c’est qu’on ne parvient pas à résoudre de manière satisfaisante, de manière scientifique, de manière objective, les enquêtes», explique-t-il.
Comme plusieurs, il en appelle à une commission d’enquête internationale.
«À l’occasion de l’assassinat du président, on demande qu’il y ait une commission d’enquête internationale pour toutes les raisons que nous avons, des raisons de confiance, des raisons d’impartialité aussi, et aussi pour les raisons de compétence en matière d’expertise», précise Stanley Gascon.
De l’aide demandée Les autorités haïtiennes ont demandé l’aide des États-Unis et de l’Organisation des Nations Unies (ONU) pour sécuriser le pays.
«C’est probablement une des nouvelles les plus importantes que l’on va suivre», a dit l’envoyé spécial.
La demande faite aux États-Unis vise à aider à résoudre l’enquête entourant l’assassinat du président Moïse.
L’intervention de l’ONU viserait plutôt à protéger les infrastructures. La crainte est que les assaillants décident de s’en prendre aux réserves pétrolières ou à l’aéroport de Port-au-Prince, le seul aéroport international du pays.
«Réponse par l’affirmative des États-Unis qui enverront des agents du FBI et du département de sécurité intérieure», a précisé Félix Séguin.
Des membres de l’Unité spéciale de la Direction des enquêtes criminelles de la police nationale colombienne sont aussi arrivés à Port-au-Prince, samedi matin. Ils ont affirmé être venus «soutenir l’enquête haïtienne».
Présidence par intérim
Au climat d’instabilité, il faut ajouter la présidence par intérim du pays qui ne semble pas faire l’unanimité.
Alors que c’est Ariel Henry qui devait prendre le relais comme premier ministre du pays, celui qui occupait le poste par intérim depuis avril est resté au pouvoir.
De plus, Joseph Lambert a aussi été nommé comme président de transition par le Sénat du pays.
Toutefois, il s’agit seulement d’une suggestion, et rien ne contraint l’équipe de gestion en place en Haïti à entériner cette nomination.
«C’est un coup d’épée dans l’eau, mais, chose certaine, l’avenir est plus qu’incertain, et les prochains jours surtout», a conclu le journaliste.