Dans les années 1901 Justin Dévot, l’un des grands doctrinaires de la Génération de la Ronde, dans ses réflexions sur la situation de décadence et l’effondrement de la société haïtienne, souligne à travers les ouvrages suivants : « le travail intellectuel et la mémoire sociale ; l’état mental de la société haïtienne », les imperfections de notre société au point de vue de sa constitution psychologique nous invitent à scruter les causes qui font de notre pays ce qu’il est actuellement. Cette réflexion, souligne-t-on, devrait impliquer un sentiment subversif bourré d’orgueils nationaux.
En souvenance, il faut avouer que ce siècle a été une dénégation de culpabilité pour la majorité des jeunes étudiants et de la classe prolétarienne face à l’imbroglio du pays. Ce qui allait pousser une grande quantité de la population à rejoindre le mouvement Firminisme, un mouvement qui a été créé après le vote de censure que le parlement a donnée au gouvernement de T. Simon Sam dont Antenor Firmin, en faisait partir.
Se méfiant d’un modèle d’Etat fondé sur l’exploitation, la discrimination et l’exclusion, ce mouvement se veut l’intégration et l’émergence de la jeunesse et de toutes les autres couches de la société dans la vie politique du pays. Ils ont été parfaitement stipulés en vue d’éradiquer les bévues du passé et de travailler pour la prospérité de ce pays glorieux. (L’idée du Professeur Michel Soukar).
Les levées de boucliers de différents groupements de la vie nationale furent, à cette époque, les preuves qui traduisaient la rupture entre le peuple (la masse) et le système politique de l’époque (un système qui ne garantissait que l’inégalité, la dictature maquillée, l’exploitation à outrance du pays) pour construire l’État nation qu’on a raté en 1804, une nation juste, souveraine et indépendante.
Après plus d’un siècle, Haïti continue à faire face à des défis qui prévalent son existence et hypothèquent l’essence même de sa souveraineté. Malheureusement les Haïtiens n’ont pas su apporter une contribution constructive et opérationnelle qui pourrait répondre aux exigences du pays. Haïti n’arrive pas à améliorer les conditions existentielles de ses fils et filles, les élites politiques et économiques du pays ne priorisent aucune démarche collective pouvant apporter un peu de mieux-être à l’endroit de toute la population. Les hommes qui briguent le fauteuil présidentiel n’ont qu’un seul objectif: « piller le pays pour évaser leurs pécuniaires en banque étrangère ». Le pays devient une nouvelle forme de colonie assujettie aux directives des métropoles.
Au cours des émeutes du février 1986 qui ont accouché la chute du régime duvaliériste, le peuple haïtien, harassé de subir la répression et l’injustice, a pu se démarquer de l’ornière dans laquelle il patauge, cependant, le départ de Duvalier n’était pas anodin, ce n’était pas une révolution soudaine. Le mécontentement de la population envers ce régime de répression était vraiment accru (ce fut l’un des régimes dictatoriaux le plus sanglants de l’Amérique après celui de Pilochet, au Chili). Toutefois, l’aspiration du peuple à se divorcer de ces pratiques qui faisait obstacle à la dignité humaine était sans équivoque.
Malheureusement, l’événement de 1986 n’était pas la fin du régime, on va assister à une autre forme de Duvaliérisme sans Duvalier et, le résultat après 35 ans n’est que la continuité des mêmes pratiques, de la même culture et de la même réalité.
Sans aucun scrupule, des hâbleurs politiques, en affinité avec certains nantis de la vie nationale, laissent plonger le pays dans une rechute. La démobilisation des Forces armées D’Haïti (FADH) au profit d’une intervention étrangère le 19 septembre 1994 en est l’illustration probante. En réalité, cette démobilisation a affecté tous les organes vitaux du pays. L’insécurité foncière, la prolifération des gangues deviennent une nouvelle réalité dans l’actualité du pays. Ce qui renforce totalement le pouvoir économique et politique d’une minorité de la population contre le reste.
Haïti devient le pays le plus inégalitaire du continent. La Professeure Marie Meudec dans son éditorial « Corps, Violence et politique en Haïti » et le démographe Dr Emmanuel ADE, présentent le tableau sombre et révoltant de la réalité qui existe entre les (prétendus) riches et les pauvres dans le pays. Ainsi, soulignent-ils que 4% de la population possèdent 66% des ressources du pays, 16 % disposent 14% des ressources, 70% disposent 20 % et 10 % n’en disposent pratiquement rien, ces données attestent la dictature néolibérale, l’hégémonie et la colonisation interne en Haïti.
Si l’on se réfère au livre « Du Nouveau contrat social » de J.J. Rousseau, l’on comprendra alors que l’État devrait être un organe régulateur qui est là pour protéger les plus faibles contre les plus riches. Malheureusement l’État haïtien ne partage pas ce principe, au contraire il enrichit les plus riches au nom des pauvres. Ce que le poète Apollon Pascal qualifie dans le Slam « Génération Jacques Stephen Alexis » de « l’État bourgeois ». Et, cette réalité perdure et dupe toute l’histoire dans son actualité.
En 1986, après la chute de l’idéocratie duvaliériste, l’État n’a pas changé. On va assister, cette fois, à une forme d’enlisement de transition au profit des gouvernements sans vision et sans culture. Des gouvernements toujours caractérisés par la corruption et la violence (en majeure partie). Les institutions dites morales sont en faillites, l’incompétence administrative, l’instabilité chronique sont devenues vertueuses. Conséquences : le peuple s’engonce dans une méfiance de tout pouvoir de nature « totalitaire » alimenté par une démon-cratie (un monstre légitime qui dévore le peuple) et une pauvreté anthropologique3 qui le ronge.
Le peuple (le petit peuple) se plonge dans l’abime de l’irrationnel et ne sait pas à qui faire confiance. Son estime se dégrade de temps à autre. Il ne sait même pas qu’il ne sait rien de ce qui se passe.
Les dirigeants n’incarnent plus la force morale, ce qui devrait servir de sève en temps de drame et de détresse. La société se décompose ; une crise morale généralisée. Par ailleurs, « l’appétit de pouvoir » devient un critère qualificatif pour tous ceux qui souhaitent se tailler une place importante dans les fonctions publiques. Être dépourvu du sens du bien commun, d’humanité et du devoir, c’est-à-dire être sans scrupule, sans pudeur et sans moralité sont les qualités requises pour être un leader d’une renommée national.
La période poste-duvaliériste peut être classée comme celle où le verdict d’un peuple innocent est prononcé. Après 35 ans un Haïtien est deux fois plus pauvre qu’en 1986, tous les indicateurs économiques sont à rebours. Selon un rapport de l’OCHA environ 4.5 millions d’Haïtiens sont dans l’extrême pauvreté. Pourtant, malgré cette catastrophe il n’est pas étonnant de parler de l’abondance relative. Haïti est l’unique pays du continent américain où une minorité de la population contrôle plus de 50% du revenu national. L’économiste Fritz Alphonse JEAN, dans le livre Haïti, une économie de violence explique que l’État du pays se trouve sous l’emprise d’une violence interne alimentée par trois secteurs : le secteur traditionnel des affaires, les entrepreneurs politiques, et les grands commis de l’État, tels que: les ministres, directeurs généraux, etc. Sur ce, nous pouvons ajouter un quatrième mousquetaire qui est l’Église catholique. Celle-ci contrôle aussi un pourcentage considérable du budget national. Ces mafieux gangrènent l’Etat, et font tout ce qu’il faut pour entraver le salut du peuple.
Aujourd’hui, malheureusement les Haïtiens n’ont pas encore décidé de changer l’état de l’État, ils se croient toujours incapables de résoudre les problèmes du pays, développent un sentiment « Blancomanie aveuglant » et pensent que les solutions d’Haïti doivent venir des Blancs. Et quant à eux, ils sont impuissants pour les résoudre. Les uns se méfient aux autres. Ils digèrent très mal les divergences d’opinions.
Haïti se trouve dans une impasse terrible et fragile. Malgré les grandes difficultés qui rongent le pays, les Haïtiens ne peuvent pas se mettre ensemble, ils préfèrent plutôt s’ expatrier à tous les coins de la planète à la recherche d’un peu de mieux-être. Cela plonge le pays dans une indignité et une dépendance honteuse.
La souveraineté d’Haïti est totalement piétinée par des clans (l’international, le CORE GROUPE, le G9, 400 MAWOZO, la présidence, etc.) Le pays est détourné de sa trajectoire de pays libre, souverain et garant de la liberté de tous. Aujourd’hui, Haïti fait partir des pays où tout est désacralisé. La liberté haïtienne est emprisonnée, l’État devient un foyer de bandits, la corruption est la noblesse nationale. Comment prêcher la vie dans un pays mort, tué par la complicité de ses propres fils?
Après la chute de Duvalier, toute une chaine d’Haïtiens se croyaient pouvoir enfin prendre le gout de la vie, le gout de la liberté et le gout de l’affirmation de soi, malheureusement chaque gouvernement qui succède, engonce le pays dans un conservatisme de bassesse et d’ignominie. Plus rien n’est en priorité.
Chaque élection présidentielle organisée en Haïti donne naissance à une tête nouvelle, souvent venue de nulle part. Le destin du pays se place dans le hasard. S’il faut illustrer: En face de L. M. Basin (un homme politique expérimenté de l’époque), s’élève un Aristide (un prêtre catholique), à la place du professeur Manigat se trouve un Préval, en face de la professeure Mirlande s’élut un Martelly communément appelé « Sweet Micky, et plus tard Tèt kalé », à la place du politologue Sauveur Pierre Étienne, se trouve un Jovenel (Nèg bannann Lan). Le hasard occupe une grande place dans la poursuite de la vie politique en Haïti. Mais, à quel point pourrait-on être insensé de croire que le succès dépend d’un tirage qui se fait entre « le moins mal, le mal et le pire », pendant que l’on exclut le bien?