Pendant longtemps, le monde occidental considérait l’enfant naturel haïtien comme un sujet marginalisé qui n’a jamais su bénéficier du statut socio juridique conféré à l’enfant légitime, c’est-à-dire être doté de la personnalité juridique et ayant ses propres droits de manière équitable et équilibrée . Le fait par les concepteurs d’avoir eu un enfant hors mariage traduisait leur volonté de se placer en marge de la société et des règles matrimoniales. En France le statut juridique de l’enfant naturel a beaucoup évolué. La loi du 3 janvier 1972 a posé le principe d’égalité entre l’enfant naturel et l’enfant légitime. Chaque année environ 30% des enfants naissent hors mariage. A l’heure actuelle, les réactions de rejet des enfants naturels ont disparu.1(*) Il n’y a plus d’enfants illégitimes, il n’y a que des parents illégitimes affirment les commentateurs de la dite loi.
Le droit subit depuis plusieurs décennies une influence marquée par les Conventions. Les organisations des Nations Unies et des Etats Américains (ONU et OEA), dans leurs textes concernant les droits de l’enfant, ont banni toutes les formes de discriminations entre enfants, basées sur les conditions matrimoniales de leurs parents. L’article 2 de la convention relative aux droits de l’enfant adopté le 20 novembre 1989 par l’Assemblée générale des Nations Unies en est un témoignage.
Selon des auteurs comme Jean Carbonnier, Gabriel Marty et Pierre Raynaud, pour ne citer que ceux-là, plusieurs solutions en vue de protéger la filiation naturelle sont possibles. Pourtant en Haïti, l’inégalité persiste, l’écart entre la juridiction et les pratiques quotidiennes est trop flagrant.
Le code civil haïtien, qui est un plagiat du code de Napoléon, est très discriminatoire à l’égard des enfants naturels. Les données statistiques révèlent qu’en Haïti les naissances illégitimes sont supérieures à celles légitimes. Il y a un pourcentage de 75% d’enfants à naître hors mariage.1(*)
Conscient de ce taux élevé, le législateur haïtien est plusieurs fois intervenu pour donner un nouveau statut à l’enfant naturel et lui reconnaître les mêmes droits que l’enfant légitime. Il a aussi manifesté son souci de protéger les familles instituées en dehors du mariage civil ou religieux. Nous en avons pour preuve le décret du 22 décembre 1944, le décret du 27 janvier 1959 et les articles 259 à 262 de la constitution de 1987.
Certains auteurs haïtiens comme Me Grégoire Eugène, Me Ertha Pascale Trouillot, Me François Latortue… ont fait des études sur la filiation en Haïti et ont formulé des propositions en vue d’un relèvement du statut socio juridique de l’enfant naturel haïtien. Cette question préoccupent les sociologues, fait écho dans les médias et l’opinion publique. C’est sur cette base que nous avons choisi le sujet: « L’enfant naturel haïtien entre le droit et la réalité. »
La question des enfants naturels dans la société haïtienne soulève des réactions. Elle est un sujet de réflexion sociologique surtout que la polygamie est l’essence des structures familiales africaines. Désormais, l’enfant naturel est devenu un membre à part entière de la société et des droits fondamentaux lui sont reconnus de manière équitable et équilibrée. Cependant l’effectivité de ces droits dépend de la réalité sociale. Les problèmes posés par cette question sont de divers ordres : juridiques, sociales, religieuses, morales.
Sur le plan juridique, on ne peut pas présumer la paternité naturelle. La présomption de paternité légitime « Pater is est quem nuptiae demonstrant » ne s’y applique pas. D’ailleurs, la qualité de père peut-être toujours contestée par la mère naturelle.
Du point de vue social, la mention d’enfant naturel portée dans l’acte de naissance représente un accroc. On a une perception négative de l’enfant qui est souvent gêné à produire cet acte dans certains milieux. Entre enfants naturels et enfants légitimes de mêmes géniteurs, il existe des malentendus, des heurts…
Sur le plan religieux, certaines sectes développent un certain préjugé contre les enfants naturels. Certains leaders protestants refusent de les baptiser ou de les présenter au temple. D’autres ne les présentent pas en même temps que les enfants légitimes, surtout pendant le culte d’adoration. Dans certaines églises catholiques, il y a un jour, une heure spéciale pour le baptême des enfants nés hors mariage. Certaines écoles congréganistes ne les reçoivent pas. Dans les séminaires de théologie catholique, on exige même l’acte de mariage des parents du postulant.
Sur le plan moral, l’enfant naturel connaît des effets néfastes de sa famille, des causes de déséquilibre psychologique qui peuvent nuire sa santé. Ces problèmes soulèvent quelques interrogations :
La question de filiation naturelle ne constitue-t-elle pas un véritable dilemme pour la société haïtienne ?
Une solution à ce problème n’est-elle pas une urgence de l’heure ?
Quels sont les voies et moyens à utiliser à cette fin ?
Le terme filiation désigne le rapport entre une personne et ses descendants. On distingue trois sortes de filiations : la filiation légitime désignant la situation de l’enfant né de parents mariés « ensembles », la filiation adoptive dépendant d’un acte de volonté et la filiation naturelle qui désigne la situation de l’enfant né de parents qui ne sont pas mariés. C’est cette filiation qui fera l’objet de notre étude.
Parmi les filiations naturelles on distingue : L’enfant naturel simple né de parents tous deux libres matrimonialement, l’enfant adultérin dont l’un des auteurs est marié avec une tierce personne et l’enfant incestueux dont les auteurs ont un lien de parenté ou d’alliance.
Ces législations ont été repensées en fonction de la place que les enfants naturels y occupent. Ce qui fait la valeur de ces législations étrangères est qu’elles ont toujours été adaptées avec le temps et suivant la mouvance sociale et surtout toujours en harmonie avec l’évolution de leur société. Le législateur haïtien de son coté, d’après ce qu’il nous a été donné d’observer, se laisse toujours mené par les événements. Ce qui engendre une situation incommode aux enfants incestueux et adultérins auxquels il finit par ne pas reconnaître le droit à la légitimation, à la reconnaissance, à la succession.
Il s’agit pour nous de tenter d’apporter, dans le cadre de notre travail, des pistes de solutions à ces problèmes épineux et graves qui s’imposent a la justice haïtienne actuelle. A notre sens, consciente de l’importance du problème, nous avons dans le dernier chapitre du travail, proposé des suggestions qui pourront servir de base à toute volonté d’améliorer la situation de l’enfant naturel en Haïti. Il faut donc, des mesures sociologiques et légales, urgentes et rationnelles pour régler les questions de fait et les situations dérivées de cette filiation.
Nous avons proposé une nouvelle perception sociale et un nouveau statut juridique de la filiation naturelle en Haïti. Ce qui permettrait à l’enfant naturel de connaître des jours moins assombris de tristesse et d’angoisse.
Les parents doivent être rendus responsables de l’avenir de leurs enfants qu’ils soient issus de leurs oeuvres naturelles ou légitimes. Cette responsabilité ne se limite pas seulement aux seuls actes domestiques mais s’étend également aux domaines social et juridique.
Ceux qui défendent la famille, ses valeurs, son rôle dans la société comme les organismes de droits humains, la presse, les associations féministes, les juristes, doivent faire entendre leur voix partout où l’on décide de l’avenir des enfants. Il s’agirait là d’un service rendu à la nation haïtienne et à l’humanité toute entière. Ce travail devra profiter tant à soi-même qu’aux générations futures.
La convention relative aux droits de l’enfant représente, de ce point de vue un instrument précieux de référence. Nous sommes convaincue que par leur engagement, l’enfant naturel arrivera à trouver sa place dans la société. L’amélioration des conditions de vie des enfants naturels leur permettra d’accéder à une vie plus ou moins décente aux yeux de la société.
Dans le but d’harmoniser l’ordre social et de garantir le droit de tout individu, l’Etat doit remplir ses devoirs constitutionnels qui sont la protection de la maternité, de l’enfance et de la famille. Dans le cadre d’une politique de justice sociale, il doit mettre tout en oeuvre pour réhabiliter la filiation naturelle et garantir une vie sociale propre à contribuer à l’épanouissement de ces enfants aussi bien dans leur vie d’enfant que dans leur vie d’adulte. C’est le seul moyen qui, selon notre analyse, pourra garantir la possibilité d’avoir un citoyen honnête, paisible… et disposé à travailler valablement au développement de son pays.
Pour cela, il y a toute une série de dispositions et d’attitudes qui doivent être adoptées par l’Etat haïtien. Il faut harmoniser et adapter la législation du pays aux exigences du moment et au nouvel ordre mondial qui se veut garant du respect des droits de l’homme.
Une intervention pareille sera certainement efficace; mais pour être efficiente, ne devrait-on pas en envisager d’autres aussi pertinentes sur les plans environnemental et économique ?