Le 14 mai 2011, Michel Martelly, allias Sweet Micky, ancien chanteur et musicien de Konpa – musique haïtienne – est investi Président de la République d’Haïti au Palais national, à Port-au-Prince, la capitale. Depuis l’avènement au pouvoir de l’équipe “Tèt kale” – surnom tiré de la coiffure “boule à zéro” portée régulièrement et fièrement par l’ancien artiste -, le slogan de l’Exécutif est: “Haiti is open for business“. A cette époque, l’homme d’affaires, Laurent Lamothe, alors ministre des Affaires étrangères, a tenté de conceptualiser cette ligne politique par la notion de “diplomatie d’affaires”.
Ainsi une conférence internationale réunissant des centaines d’investisseurs étrangers et haïtiens a-t-elle eu lieu, à Port-au-Prince, sous le haut patronage du président de la République, les 29 et 30 novembre 2011. Organisée par la Banque interaméricaine de développement (BID), la Fondation Clinton et le gouvernement haïtien dans le cadre du forum Invest in Haiti, cette conférence avait pour but “de mettre en évidence les opportunités économiques engendrées par la reconstruction du pays et les plans de développement à long terme“, après l’incroyable séisme du 12 janvier 2010 qui avait fait plus de 200 000 victimes.
Cependant, si le dynamisme de la nouvelle équipe gouvernementale a été reconnu jusqu’à la fin de l’année 2011, créant ainsi une lueur d’espoir pour des millions d’Haïtiens, surtout des jeunes diplômés au chômage, le pays est malheureusement (re)plongé, depuis 2012, dans une crise politico-institutionnelle dont il a le secret: démission du gouvernement du Premier ministre Gary Conille qui aura duré 4 mois ; bisbilles au Parlement pour la ratification, conformément à la Constitution, du nouveau Premier ministre désigné, Laurent Lamothe; tensions entre les parlementaires de l’opposition et le président Michel Martelly sur sa nationalité américaine présumée ; non respect des calendriers électoraux par l’Exécutif; nomination d’agents exécutifs en lieu et place de maires élus faute d’élections municipales organisées en bonne et due forme; “chirepit ” (charivari) entre l’Exécutif et le Sénat sur la composition du Conseil électoral provisoire (CEP) en vue de l’organisation des élections sénatoriales en 2014…
Le tout nouveau et premier cardinal haïtien, Mgr Chibly Langlois, a tenté une médiation en réunissant les différents protagonistes (Exécutif, Parlement, opposition, société civile), à l’hôtel El Rancho, à Port-au-Prince, pour aider à trouver une solution à cette crise perpétuelle. Cette tentative de dialogue a abouti à l'”Accord d’El Rancho“, le 14 mars 2014. Cet accord contient “14 articles, permet le partage du pouvoir, propose des votes de loi dont l’une sur l’aménagement du territoire, adresse le retrait de la Mission de casques bleus de l’ONU et projette des élections pour 2014“. Il a pris apparemment du plomb dans l’aile, près de trois mois seulement plus tard. De nouvelles discussions ont eu lieu, en effet, le jeudi 5 juin, à l’hôtel Best Western, entre le pouvoir exécutif et les parlementaires. Elles se sont poursuivies tout au long du week-end du 6-8 juin. Vont-elles déboucher sur un nouvel accord? Wait and see! La situation politico-institutionnelle haïtienne est tellement préoccupante que certains observateurs parodient le slogan de l’équipe au pouvoir “Haiti is open for business” en “Haiti is open…for crisis“.
Last but not least, la revue Foreign Policy vient de classer Haïti parmi les “Etats faillis” au 8è rang mondial des dix pires d’entre eux tels la Somalie, la République démocratique du Congo, le Soudan, le Sud-Soudan, le Tchad, le Yémen, l’Afghanistan, la République centrafricaine et le Zimbabwe. Haïti serait, donc, devenu ce que l’on appelle communément une “entité chaotique ingouvernable“. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les incessants soubresauts politiques entre les différents pouvoirs empêchent le pays d’avancer dans la voie du progrès social. Sans compter les effets néfastes des potions économiques néolibérales administrées, depuis des décennies, par les institutions internationales comme le FMI, la Banque mondiale, etc. qui aggravent la situation économique et sociale – au profit d’une oligarchie bien connue – en complicité avec les gouvernants qui les appliquent comme de bons élèves sans broncher.
Moïse Jean Charles qui intervenait sur les ondes de Radio Télé Zénith, dans la soirée du lundi 1 juin 2020, indique que partir le 7 février 2021, devrait en fait s’agir d’une décision de sagesse pour le chef de l’État.
«Si en décembre dernier, j’avais pris position pour que 2/3 des sénateurs parte le deuxième lundi de janvier 2020, c’est encore ma position, dans le cas du mandat de Jovenel Moïse, à la tête du pays», indique l’ancien sénateur Jean Charles.
L’ex parlementaire évoque le décret électoral de 2015 qui prône l’harmonisation du temps constitutionnel et le temps électoral, à l’occasion d’élections organisées en dehors du temps constitutionnel.
Il relate en outre l’article 134-2 de la Constitution stipulant que les élections présidentielles ont lieu le dernier dimanche de novembre de la cinquième année et se terminent le 7 février suivant la date des élections.
Cependant, les partisans du pouvoir et le chef l’État n’interprètent pas l’article 134-2 de la constitution dans le même sens. Le chef de l’État, Jovenel Moise, a eu un support de taille. Le mandat du président Jovenel Moïse arrivera à terme le 7 février 2022 », a déclaré vendredi le secrétaire général de l’OEA. Luis Almagro apporte son plein soutien à Jovenel Moïse et appelle l’opposition politique à aller aux urnes si elles veulent arriver au pouvoir.
Un discours que le secrétaire national de «Pitit Dessalines» ne veut pas entendre. «La loi doit être la boussole de tous, quel que soit son rang», conclut Moïse Jean Charles.
Le 31 mai, la Cour supérieure des comptes a rendu un rapport de plus de 600 pages sur la mauvaise gestion de l’aide reçue du Venezuela par Haïti, rapport dans lequel le président haïtien Jovenel Moïse est accusé d’être au coeur d’un “stratagème de détournement de fonds”. Les juges ont découvert qu’en 2014, pour le même chantier de réhabilitation de route, l’État a signé deux contrats avec deux entreprises aux noms distincts, Agritrans et Betexs, mais qui partagent notamment le même matricule fiscal et le même personnel technique.
Avant son arrivée au pouvoir en 2017, Jovenel Moïse était à la tête de l’entreprise Agritrans, laquelle a reçu plus de 33 millions de gourdes (plus de 700.000 dollars américains, au taux de l’époque) pour ce projet routier alors que son activité consistait à de la production bananière. Pour ce chantier, l’entreprise de l’actuel président avait par ailleurs reçu une avance de fonds près de deux mois avant la signature du contrat.
Un autre chantier de réhabilitation routière a été attribué à Agritrans en 2015 malgré l’avis défavorable de la Cour des comptes, qui avait notamment relevé à l’époque une violation des lois de passation de marché public. “A ceux qui pensent qu’il y a quelque chose à reprocher à l’entreprise que je dirigeais avant d’être président, avant d’être candidat, je dis : que la justice fasse son travail. L’entreprise est là et tous les documents existent“, a encore réagi mercredi Jovenel Moïse.
Dimanche, plusieurs milliers d’Haïtiens ont manifesté à Port-au-Prince et dans les principales villes de province pour réclamer la démission du président Jovenel Moïse. Dans la capitale, deux personnes ont été tuées par balles en marge du rassemblement, qui s’est achevé sur d’importantes violences et quelques destructions matérielles.
A force de tirer sur la corde, les responsables de cette crise risquent de récolter tôt ou tard les fruits du désespoir permanent qu’ils auront semé. Il est bien connu que le peuple haïtien ne reste jamais longtemps simple observateur des injustices qu’on lui fait subir. La première République Noire du monde, et du 34è anniversaire de la chute du régime dictatorial des Duvalier, l’Histoire est là pour en témoigner. Les différents acteurs de la scène haïtienne feraient bien de s’en souvenir.