« Je ne veux pas savoir. Homme, tu es étranger et tu foules le sol que foulèrent mes pères. Ferme la bouche débordante du miel du mensonge. C’est inutile. Je te hais » Jacques Roumain 1928
Claude Bernard Sérant « Lorsque le général américain Wassor invite les intellectuels haïtiens à une réception, Jacques Roumain répond : Monsieur le haut commissaire, le Nègre Jacques Roumain ne daigne pas fréquenter les Blancs. » Ces propos que le professeur Léon-François Hoffman rapporte de l’auteur de « Gouverneurs de la rosée » souligne l’antiaméricanisme qui bouillonnait dans les veines du fondateur du Parti communiste haïtien. À travers des articles de journaux et des textes de fiction, il répandait sa colère. Son antiaméricanisme, il le poussera jusqu’au bout. Le Blanc, autrement dit, l’étranger oppressait le peuple haïtien.
Un colloque international sur la pensée et l’œuvre de Jacques Roumain ne saurait ne pas consacrer un espace de réflexion sur les combats et l’engagement politique de cet auteur. D’ailleurs dans beaucoup de ces écrits, il met en avant la nécessité pour tout intellectuel de consacrer une partie de ses travaux au combat politique et il exprime maintes fois, et de façon explicite, que la littérature doit être aussi une arme au service du processus d’émancipation des masses.
Dans cette courte présentation nous insisterons sur le combat inlassable de Jacques Roumain contre l’occupation militaire des troupes américaines en Haïti (1915-1934), un achoppement et une insulte historiques auxquels il consacre une grande partie de sa production littéraire. Dans ses poèmes, ses essais politiques, ses articles de presse, sa correspondance, il ne cesse de dénoncer la présence des troupes américaines sur notre sol.
Dans le cadre de cette lutte il a dû développer un combat direct contre tous les discours de justification qui ont cherché à légitimer cette occupation. Il leur oppose une brillante analyse des rapports sociaux en vigueur aux Etats-Unis pour nier leur prétention de donneur de leçons de démocratie. Il remet également en question les fantaisistes et banals diagnostics sur les causes et les racines des problèmes et des déchirements inter haïtiens. De même, il démasque les alliances qui se tissent subtilement autour de l’ordre imposé par l’occupation et il attaque directement ses représentants et ses laquais en refusant de leur octroyer le moindre pouce de légitimité. Il est intéressant aujourd’hui, devant la soumission systématique de nos élites à l’occupation du pays depuis tantôt 4 ans, de rappeler l’essentiel de la méthode et de l’argumentation développée par Jacques Roumain pour déconstruire les discours et approches de justification de l’occupation.
S’adresser à la pensée de Jacques Roumain exige de revoir, dans un premier temps, sa dénonciation de l’occupation à partir de la vision d’un internationaliste convaincu. Ainsi, une grande partie de sa vie, de sa militance et de ses écrits a été consacré à la lutte anti-fasciste en Europe, à la défense des travailleurs américains et aux luttes d’émancipation des Peuples de la Caraïbe. Il ne peut être soupçonné d’une tendance à un repli frileux et conservateur sur soi et ses valeurs. Il a toujours inscrit son combat dans une articulation avec l’universel et justifié ses options sur la base de l’universalité de la souffrance.
« Dans son roman « Les fantoches », l’écrivain décrit les Américains comme une poignée de fruits secs de la Virginie ou du Texas déversée dans notre administration et plus pillarde et avide que nos généraux d’autrefois. » Notons que, sous le gouvernement de Sténio Vincent, Roumain fut souvent arrêté et, finalement, contraint à l’exil. Fondateur du Bureau national d’ethnologie, cet intellectuel a eu une vie brève et studieuse. Il est mort à 37 ans.
Dans cette lutte, les arguments, les cris de révolte et d’indignation de Jacques Roumain ont une résonance très actuelle dans une conjoncture qui se caractérise malheureusement par une soumission de l’intelligentsia haïtienne face à une occupation d’un autre type à travers la MINUSTAH.
Dans ce nouveau contexte de soumission et de lâcheté de nos élites, il revient d’articuler un sérieux discours critique qui doit, à la fois, questionner l’ordre économique, politique et social que la MINUSTAH et ladite « communauté internationale » tentent d’imposer, d’une part, et d’initier un nouveau discours de refondation du politique et du patriotisme dans notre pays. Le combat contre la MINUSTAH,BINUH etc c’est aussi un combat pour un sursaut national en vue de réunir les conditions d’une rupture avec l’ordre imposé par l’occupation américaine de 1915 et qui a eu la surprenante capacité de se reproduire tout au cours de ces 92 dernières années, drapé de nouveaux oripeaux au creux du processus de pourrissement de nos institutions.
Camille Chalmers