Il serait insensé et injuste d’imputer tous les maux du pays au président Jovenel Moïse. Cependant s’il exerce le pouvoir, encore aujourd’hui, sur les ruines et décombres de l’État effondré d’Haïti, c’est parce qu’il est soutenu et maintenu à son poste par l’administration des USA, s’accordent analystes et experts.
L’État haïtien, de fait, s’est effondré au profit des USA, de la France, du Canada et des entreprises transnationales, des cartels syro-libanais et mulâtres en complicité et/ou rivalité, des trois pouvoirs de l’État et de la classe politique traditionnelle, en toute impunité.
Le processus historico-politique et les mécanismes institutionnels ayant conduit audit effondrement sont globalement et totalement contrôlés par le cartel diplomatique / Core Groupe, constitué ainsi à l’issue des évènements politiques de 2004 (enlèvement/coup d’État contre Jean-Bertrand Aristide) : un représentant du secrétaire général de l’ONU, un représentant de l’OEA, des ambassadeurs des USA, France, Canada, Brésil, Espagne et Union européenne. Il en est donc résulté dans la durée une majorité pauvre dépossédée et appauvrie, un État failli et effondré, incapable de se réinventer.
Historique de la dépossession et de l’appauvrissement
« KISKEYA » (ci–après AYI-TI) était pratiquement inconnue de l’Europe jusqu’à la fin du XVe siècle. D’aventure, en 1492, les conquistadors espagnols tombèrent sur cette île paradisiaque qu’ils ont renommée Hispaniola et transformée plus tard en enfer pour la population autochtone estimée à près de un million d’habitants (Tainos). À force d’exploitation et de brutalité, les Espagnols exterminèrent les Tainos dans ce qu’il convient d’appeler le premier génocide européen en Amérique.
Pendant plus d’un siècle, Espagnols et Français, pirates européens et flibustiers de tous poils se sont disputé cette terre combien fertile, de surcroît bourrée de minerais. En 1626, la France face à l’Espagne prenait officiellement possession de la partie occidentale (ouest) pour en faire une terre de plantation destinée à l’exportation du café, de l’indigo et du sucre en particulier, jusqu’à l’Indépendance en 1804.
Comme la culture de la canne à sucre exigeait une main-d’œuvre très abondante, taillable et corvéable à merci, les colons se tournaient vers le continent africain après l’extermination/génocide des Tainos. De 1679 à 1791, ils ont pu arracher de leur terre natale près d’un million d’Africains pour les réduire en esclavage dans la partie française devenue ainsi le premier destinataire de la traite des Noirs et par la suite le premier producteur mondial du sucre. Vers 1750 déjà, la colonie française exportait plus de sucre que toutes les colonies/îles anglaises réunies.
En 1791, nos ancêtres africains, esclaves surexploités, commençaient à se révolter contre le système dans le but de créer un État libre et souverain. Ils sont parvenus à changer l’ordre mondial d’alors basé sur l’esclavage en déclarant officiellement l’indépendance d’Haïti le 1er janvier 1804.
17 octobre 1806, dette de l’Indépendance et occupation par les USA
Le leadership politique mulâtre opérait la contre-révolution en assassinant l’empereur Jacques Ier / Jean Jacques Dessalines qui donnait lieu à la scission d’AYITI en la République d’Alexandre Pétion et le Royaume du Nord avec Henri Christophe, qui n’a pas survécu après la mort du roi Henri Ier. En 1825, le leadership politique mulâtre a capitulé face aux menaces militaires de la France en acceptant de payer la rançon de 150 millions de francs (ramenée finalement à 90 millions de francs), à titre de dédommagements aux colons esclavagistes français chassés en 1804.
Telle avait été la condition imposée par la France et appuyée par les USA pour reconnaître notre indépendance. Finalement les USA débarquèrent en Haïti et s’emparèrent des réserves d’or du pays qui devenait leur colonie de 1915 à 1934. Les occupants étatsuniens ont reformaté la souche ethno-historique d’Haïti pendant cette période avec l’arrivée de chrétiens syro-libanais munis de passeports américains en provenance du Moyen-Orient suite à l’effondrement de l’empire ottoman (turc).
La dictature des Duvalier, père et fils (1957-1986), a consacré l’essor financier et renforcé le poids politique des Levantins jusqu’à la victoire en 1990 de Jean-Bertrand Aristide, le premier président démocratiquement élu selon les règles de la nouvelle Constitution de 1987.
Jean-Bertrand Aristide versus FMI et Banque mondiale (1990-2004)
Les forces sociales et populaires se positionnent par rapport à Jean-Bertrand Aristide qui commençait à introduire des mesures progressistes, à combattre la corruption institutionnalisée, et exiger de meilleurs salaires pour les ouvriers et travailleurs. Les cartels syro-libanais, forts du soutien de l’Église, en synergie avec la classe politique traditionnelle et le haut état-major des FAD’H, sous la bénédiction des USA, ont mis fin le 30 septembre 1991, dans le sang et la violence, à l’expérience démocratique du 16 décembre 1990.
Le président déchu est emmené aux USA qui l’ont comblé d’attentions pendant vingt mois d’exil. En échange du retour à l’ordre dit constitutionnel en 1994, Aristide avait fait la promesse d’appliquer le Programme d’ajustement structurel du FMI : maintien des bas salaires, privatisation des entreprises publiques, suppression des droits de douane et un accès beaucoup plus large des grandes entreprises transnationales aux ressources et marché haïtiens.
Après cette domestication et humiliante abdication, Aristide n’était plus le même. Devenu plutôt erratique, il fut quand même réélu président en 2001 pour être éjecté du pouvoir manu militari le 29 février 2004 par les USA, avec la complicité de la France et du Canada.
De là, est partie la plus grande déstabilisation politique dans l’histoire de notre pays qui a produit quinze ans plus tard (2004-2019) l’effondrement total de l’État haïtien. En effet, les USA via l’ONU ont constitué dès juin 2004 la Mission des Nations unies pour la stabilisation d’Haïti (Minustah) composée de 12 000 militaires plus 5 000 policiers qui ont débarqué dans le pays pour reprendre les choses en main à travers le Core Group, le tandem président Boniface Alexandre et Premier ministre Gérard Latortue, en étroite collaboration et avec la complicité des cartels syro-libanais et consorts, les trois pouvoirs de l’État et toute la classe politique traditionnelle.
Cet étrange supra-mécanisme fit appel à René Préval, Joseph Michel Martelly et Jocelerme Privert dont les présidences sont marquées par le séisme de janvier 2010, la dilapidation des fonds collectés pour la reconstruction d’Haïti (CIRH) et des prêts concessionnels du Venezuela (PetroCaribe) sans oublier les centaines de millions de dollars en taxes collectées à partir des appels entrants et transferts internationaux et la mise à sac de nos entreprises publiques.
Si le compte est bon, il s’agit au total près de 15 milliards de dollars américains broyés par les USA, l’ONU, le Core-Group, l’OEA, la République dominicaine, les trois pouvoirs de l’État, les cartels syro-libanais et consorts, sous les bons offices, en termes d’agitation sociale, de la classe politique traditionnelle pendant les quinze dernières années.
Que faire et Conclusion
Dans le document préparé par le Conseil national du renseignement des USA intitulé : Tendances mondiales 2020 / Cartographier l’avenir de la Planète, le gouvernement étatsunien a déjà mis en place la stratégie anti-insurrectionnelle correspondante, la « guerre des réseaux sociaux », guerre de 4e génération, guerre psychologique médiatique où l’ennemi n’est pas une armée de combat mais la population civile tout entière, comme il l’a fait contre la théologie de libération et les mouvements insurgés étendus en Amérique latine.
Par contre, et en ce qui concerne notre pays Haïti à partir précisément de l’occupation militaire en 1915 ayant opéré le reformatage ethno- historique de notre pays, la rupture au XXIe siècle / 3e millénaire à l’ère des NTIC face à la stratégie hégémonique des USA mise en place par le cartel diplomatique / Core Group, les cartels syro-libanais et consorts en synergie avec la classe politique traditionnelle, réside dans l’invocation et la défense de nos droits ancestraux souverains sur nos ressources (biodiversité, eau douce, iridium, or, pétrole, argent, cuivre etc.)
Il est plus facile de dire ce qu’il ne faut pas faire que de proposer des réponses concrètes. Autrement dit : il est plus facile de détruire que de construire. Mais sachant cela, et en supposant qu’il n’est pas du tout facile de tracer un chemin sûr, on peut indiquer en tout cas où ne pas aller. Cela au moins raccourcit un peu déjà le tableau et nous dit ce que nous ne devrions pas faire. Alors, peut-être que la proposition concrète manquante de ce qu’il faut faire et où aller, émergera aujourd’hui.
Jean Frantz LASERRE