Si nous élargissons le cadre chronologique à l’ensemble du processus révolutionnaire de Saint-Domingue , quelles sont les caractéristiques majeures des affrontements violents qui dégénèrent en massacres ?
Tout d’abord, leur forte ethnicisation. La société coloniale était fortement clivée par le préjugé de couleur. C’est donc de groupe ethnique à groupe ethnique que l’on s’affronte, depuis les lynchages des libres de couleur en 1790 jusqu’au mot d’ordre, certes radical, de Dessalines en 1804, pour ordonner l’extermination des blancs : Koupé tèt, bwilé kay ; en passant par cette guerre civile particulièrement meurtrière menée par Toussaint-Louverture et ses officiers contre les mulâtres sudistes en 1799-1800.
Le registre rhétorique le plus généralementdécliné est celui de la vengeance ; comme on a pu le constater pour d’autres espaces et d’autres temps, une telle invocation déclenche le cycle des représailles.
La deuxième remarque, qui concerne plus particulièrement notre période, mais qui, là encore n’est pas spécifique aux situations coloniales, est que les lois habituellement protectrices de la guerre ne s’appliquent pas à un adversaire considéré comme un brigand. Ce fossé culturel qui autorise la transgression des règles du monde civilisé n’est pas propre, à l’époque, aux colonies. Remarque qui s’inscrit en contradiction avec la précédente ; de ce point de vue, le comportement des militaires français n’est pas le signe d’un racisme exacerbé.
Troisième remarque ; la spécificité des massacres de Saint-Domingue de 1802-1803 tient au fait que ce sont des militaires qui s’en prennent à d’autres militaires qui étaient, du moins théoriquement, leurs frères d’armes. Après tout, ce sont des français qui vont massacrer d’autres français, et cette expédition coloniale est rendue encore plus dure par le fait qu’elle s’apparente à une guerre civile.
Quatrième remarque ; les interrogations sur la « politique du massacre » conduite lors de l’expédition de Saint-Domingue, c’est-à-dire la recherche des responsabilités et de l’intentionnalité, amènent à constater qu’il y a plutôt une « apolitique du massacre », et un délitement des responsabilités, qui laisse libre cours à la seule rhétorique de la vengeance. Le rapprochement avec d’autres situations historiques permet de constater que les cas de violence extrême se produisent souvent dans des situations de vacance du pouvoir.
Massacre à Carrefour-feuilles
Avec la présence de Sony Jean alias Ti Je, Carrefour-feuilles était devenu un bastion de terreur et de violence de tous genres. Il avait le contrôle exclusif de Savann Pistach. Dans la nuit du 24 avril 2019, les membres du gang de Ti Je ont ouvert le feu sur des individus sans défense à l’impasse Eddy. Quatre personnes sont mortes sur le coup, quatre autres ont rendu l’âme à l’hôpital et douze autres ont été blessés par balles. Ces données ont été présentées par la Fondasyon Je Klere dans un communiqué rendu public le 25 avril 2019.
Massacre à La Saline
Deux attaques contre des civils ont été enregistrées à La Saline au cours du mois de novembre 2018 selon le rapport d’enquête produit par le RNDDH : Les événements survenus à La Saline : de la lutte hégémonique entre gangs armés au massacre d’État,
Le 1er novembre 2018, des habitants de Projet La Saline ont été surpris par les gangs armés de Nan Chabon et de Kafou Labatwa pendant qu’ils fêtaient La Toussaint. Cinq personnes ont été tuées et neuf autres ont été grièvement blessées par balles.
Douze jours après, soit le 13 novembre 2018, une autre attaque a été menée par des individus de la base Nan Chabon accompagnés de plusieurs autres gangs de la capitale. Circulant à bord de véhicules appartenant aux agents de la Brigade d’opération et d’intervention départementale (BOID), ils se sont introduits dans au moins 150 maisons à La Saline pour y arracher des hommes et des femmes qui seront exécutés en pleine rue. Le bilan s’élève à 73 victimes, dont 59 cas d’assassinat, 2 disparus, 5 blessés par balles. En plus, sept filles ont été violées. Les enquêtes du RNDDH ont révélé que ces attaques sont des massacres d’État.
Massacre à Grand Ravine
Grand Ravine est une localité située dans la troisième circonscription de Port-au-Prince. Ce quartier a fait la une de l’actualité surtout après la disparition du photojournaliste, Vladjimir Legagneur. Le contrôle du quartier est assuré par des chefs de gangs lourdement armés qui se succèdent au fur et à mesure qu’ils se font prendre par la police ou assassiner dans des affrontements.
Dans le cadre d’une opération menée le lundi 13 novembre 2017 par la Police nationale d’Haïti dans cette localité, des bandits s’étaient réfugiés au local de la Mission évangélique Maranatha à l’avenue Bolosse pendant que la PNH procédait à des arrestations. Avertie de ce retranchement, la PNH a tenté de dénicher ces gens qui, subitement, ont ouvert le feu sur les agents de la PNH. Deux agents de l’Unité départementale de maintien de l’ordre (UDMO) ont été abattus. Furieux, d’autres collègues policiers ont riposté causant ainsi la mort d’au moins sept individus. Un professeur et un gardien de l’école comptaient parmi les victimes durant ce drame.
Massacre à La Scierie
En février 2004, la Scierie, une localité de la ville de Saint-Marc est entrée dans l’histoire des actes d’horreur en Haïti. Les douloureux événements survenus du 11 au 14 février font état de dizaine de morts, des actes d’incendie, de viols et des personnes décapitées. Selon les données du Réseau national de la défense des droits humains ce massacre avait été ordonné par les membres du pouvoir Lavalas voulant donner une réplique au bastion de l’opposition de cette localité. Des civils armés de l’organisation Bale wouze, des unités de la Police nationale d’Haïti (PNH) se sont mobilisés pour perpétrer cet acte.
Massacre à Raboteau
Pour rappel, le massacre de Raboteau s’est passé le 21 avril 1994. Des soldats des Forces armées d’Haïti envahirent Raboteau, un des quartiers de Gonaïves. Ces représailles eurent lieu dans le but de mettre fin aux manifestations hostiles aux auteurs du coup d’État. Le bilan du massacre s’élève à 8 morts au minimum et plusieurs cas de blessés par balles. En plus, des personnes ont été victimes de sévères bastonnades. Le jugement de l’affaire du massacre de Raboteau a conduit à la condamnation de plusieurs officiers de haut rang, certains d’entre eux ont été placés en détention par l’État. Le massacre de Raboteau est l’unique drame ou certains accusés ont été condamnés par l’État.
Massacre à Fort Dimanche
Fort Dimanche était un lieu de terreur du régime des Duvalier. D’autres événements tragiques ont aussi marqué l’histoire de ce Fort le 26 avril 1986. Les officiers de l’armée ont ouvert le feu sur une manifestation qui se déroulait pacifiquement. Ces militants réclamaient justice pour les victimes du régime Duvalier et les Volontaires de la sécurité nationale (VSN) communément appelés Tonton macoute. Cette tuerie a causé la mort de 15 personnes.
Massacre de Jean-Rabel
Des paysans, membres du groupement Tèt Ansanm de Jean-Rabel, commune du Môle-Saint-Nicolas (Nord’Est), avaient organisé une marche en 1986 pour présenter leur cahier de doléances au gouvernement militaire du général Henry Namphy. Ils réclamèrent, entre autres, du crédit pour les paysans, la fin des privilèges des grands dons sur les terres de l’État et la cessation des abus d’autorité des chefs de section. L’année suivante, précisément le 23 juillet 1987, ils ont été victimes d’un carnage, connu dans la mémoire collective sous le nom de massacre de Jean-Rabel. 139 paysans, tous membres du groupement Tèt Ansanm ont été tués. On a aussi dénombré près d’une centaine de blessés. La plupart d’entre eux ont été laissés en pâture aux chiens après avoir été tailladés à la machette. Les indexés de ce massacre furent le CNG, les forces armées d’Haïti agissant en complicité avec les propriétaires terriens de cette localité, Rémy Lucas et Nicol Poitevien.
Massacre de la Ruelle Vaillant
Le massacre de la Ruelle Vaillant marque notre triste histoire dans la rentrée du système démocratique. Le déroulement de la première élection démocratique selon le vœu de la constitution de 1987 a tourné en bain de sang. Le centre de vote de l’École Argentine Bellegarde (à la Ruelle Vaillant) a subi une attaque survenue le 29 novembre 1987, jour du scrutin. Le massacre a été réalisé par les paramilitaires néo-duvalieristes, de concert avec les membres des Forces armées d’Haïti. Le Conseil de gouvernement d’alors dirigé par Henry Namphy était contre l’idée du déroulement des élections qui étaient hors contrôle de l’armée.
Massacre de Saint Jean Bosco
Le 11 septembre 1988, la paroisse de Saint Jean Bosco a été le théâtre d’un drame qui a marqué l’histoire du pays et celui de l’Église catholique. Avec la théologie de la libération, Jean-Bertrand Aristide, prêtre catholique des salésiens de Don Bosco, se range souvent au côté du peuple dans ses homélies. Il se fait réprimander par les Salésiens pour ses prises de position politiques. Ce qui a attiré plusieurs menaces sur sa vie jusqu’à perpétrer un attentat dans cette paroisse qui a conduit à la mort de plusieurs fidèles. Des dizaines de personnes ont été tuées, d’autres ont été gravement blessées. La paroisse a finalement été incendiée.
Massacre de Cazale
Les cazalais gardent en mémoire les événements du 27 mars 1969. Cette date tragique marque une tuerie réalisée par les tontons macoutes sur la population de cette zone située à Cabaret. Près d’une vingtaine de gens ont été tués. Des opposants au régime duvaliériste ont été fusillés, d’autres furent enterrés vivants. Un nombre impressionnant de disparus et des actes de vandalisme ont été aussi enregistrés.
« C’est bien une punition politique qui est infligée à la population. Le pouvoir tente de s’en sortir en installant la terreur, les schémas se répètent, et c’est exténuant », souligne Marie Rosy Auguste, pilier du RNDDH.
Enfin, dernière remarque, et pas la moindre, le récit historique se heurte aux enjeux mémoriels et aux constructions historiographiques postérieures.
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