C’est Karl Marx qui a fait des classes sociales une question sociologique majeure. Le Manifeste du parti communiste (1848) commence par ces mots célèbres : « L’histoire de toute société jusqu’à nos jours est l’histoire de la lutte des classes. » Pour lui, une classe sociale regroupe des individus qui partagent la même position dans les rapports de production (classe en soi) et qui en ont conscience (classe pour soi), ce qui débouche sur la lutte des classes.
Dans une approche nominaliste, Max Weber conçoit les classes sociales comme un classement opéré par le sociologue, sans visée politique, contrairement à l’approche réaliste de Marx.
Se demander si l’on peut encore distinguer des classes sociales aujourd’hui en Haiti, c’est donc aussi se demander quelle définition est encore valide pour analyser les classes sociales.
C’est pourquoi nous verrons que l’analyse de Marx garde une certaine actualité, même si celles inspirées de Weber correspondent mieux aux sociétés actuelles.
Si l’on admet que l’existence de classes est indissociable de celle du capitalisme, comment défendre la thèse d’une disparition des classes, ou celle de leur retour, sauf à considérer que nous serions sortis du capitalisme, probablement sans nous en apercevoir ?
Le constat est largement partagé que la bourgeoisie existe en tant que classe mobilisée, agissante et parfaitement consciente de ses intérêts en Haiti. Or, l’existence des classes procédant d’un rapport social, il est étrange que certains qui s’émerveillent de la santé éclatante de la bourgeoisie affirment dans le même mouvement que la classe ouvrière a disparu, comme si la première avait définitivement gagné la partie, se contentant désormais de jouer seule.
Lorsque le statut social d’un individu est déterminé par le type de voiture que l’on possède et par son réseau et ses liens privilégiés avec les familles X, Y ou Z, il est nécessaire sinon primordial pour cet être de s’auto-désintellectualiser aux fins de s’approprier cette réalité fictive. Un citoyen ou un groupe qui en est réduit à cela, est automatiquement dépolitisé. Il n’a plus d’intérêt en accord à sa vraie réalité et ses besoins réels, car il doit prétendre avoir les mêmes que ceux qui font vraiment partie de la bourgeoisie. Il n’existe pas au niveau politique parce que, pour protéger sa place dans l’espace virtuel de cette fausse petite bourgeoisie, il doit défendre des intérêts à des années lumières de sa réalité. Le processus est à peu près similaire pour ceux du prolétariat qui se veulent de la “classe moyenne”. Ils se désolidarisent des revendications du peuple parce qu’il faut respecter les codes et l’étiquette de cette classe moyenne illusoire. D’où ce malaise face aux mouvements populaires qui prennent des formes parfois violentes ou barbares, eut égard aux caractères prudes de cette “classe moyenne”. Pourtant, dans les revendications du peuple qui gagnent les rues, cette classe qui se dit moyenne, reconnait ses propres doléances et, ses problèmes quotidiens. Ce groupe de prolétaires refoulés savent qu’une révocation, ou le refus d’une tante de la diaspora de payer le loyer ou la scolarité de Cédric, suffisent à le faire basculer dans cette pauvreté extrême qui pousse le peuple à gagner les rues. Leur répulsion de la masse populaire qui se révolte, vient du fait qu’il sait qu’il n’est qu’à un cheveu d’elle.
Pour comprendre la vision étriquée de cette classe moyenne virtuelle, il faut d’abord accepter qu’elle n’existe pas.aparans + blòf = rezistans
Cette descente aux enfers n’est pas inévitable si on reconstitue des espaces de parole, d’échanges, en dehors de tout canevas du Blanc ou du one man show. Bannissons notre oisiveté, notre m’as-tu-vu, nos complexes et nos bluffs, transformons la fonction publique en de véritables services basés sur les résultats de la qualité de l’hygiène, de l’éducation, de l’ordre et de justice! La victoire n’est pas à ceux qui luttent ; mais à ceux qui s’accrochent à l’objectif de leur lutte. L’objectif de la classe ou des classes moyennes aujourd’hui est d’être la locomotive du changement et du développement d’Haïti.
Guy Démarest/Sylvain Louiche
L. Chauvel, « Le retour des classes sociales ? », Revue de l’OFCE, n° 79, 2001, p. 315-359.
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