Tout le monde est une potentielle victime d’enlèvement en Haïti. Les victimes sont choisies au hasard et ne semblent répondre à aucun modèle précis. C’est l’impression partagée par de plus en plus d’Haïtiens, particulièrement ceux qui vivent à Port-au-Prince. Les enlèvements ont commencé à augmenter, à partir du mois de février 2020. Médecins, étudiants, commerçants et même des policiers en ont été victimes.
Il est difficile de chiffrer ce fléau, car l’accès à l’information est difficile dans le pays. De plus, les organisations non gouvernementales, qui sont nombreuses en Haïti, présentent chacune des chiffres différents. En outre, de nombreuses familles préfèrent négocier directement avec les bandits; elles font souvent plus confiance aux réseaux sociaux qu’à la police, pour retrouver leurs proches, ou rassembler l’argent de la rançon.
Néanmoins, des rapports du Bureau intégré des Nations unies en Haïti (BINUH), acheminés au conseil de sécurité au cours de l’année écoulée, attestent d’une augmentation exponentielle des enlèvements. D’après le rapport du mois de septembre 2020, les cas ont augmenté de 200% entre janvier et mai, par rapport à la même période de l’année précédente. En tout, 92 enlèvements ont été signalés à la Police au cours de la période. Le mois de février a été le plus prolifique, avec 50 kidnappings enregistrés. De son côté, l’organisation haïtienne de droits humains Défenseurs Plus, affirme que plus de 1000 kidnappings ont été commis pendant toute l’année 2020.
Un policier de la Brigade d’opération et d’intervention départementale (BOID) recroquevillé dans un coin, le crâne éclaté. Les cadavres de deux agents du SWAT traînés au sol et mutilés par des malfrats. Des badauds festifs prenant d’assaut un blindé de la PNH. Les images chocs de la tragique opération de la Police à Village-de-Dieu qui tournent en boucle sur les réseaux sociaux ce vendredi resteront dans les annales. Comme si l’on était en train de visionner à nouveau le film « La chute du faucon noir ».
Alors que le bilan officiel de l’institution policière se fait encore attendre, les vidéos et autres visuels qui circulent attestent que la Police nationale d’Haïti, au cours de cette opération, a subi un revers cinglant à Village-de-Dieu. Des armes de l’institution ont été saisies, deux blindés ont été capturés, dont un a été incendié par les bandits.
Les policiers Standley Eugène, Ariel Poulard et Georges Renoit Vivender Alexis ont passé l’arme à gauche. Tombés sur le champ de bataille, en servant la nation, ils n’auront pas regagné leur domicile. Proches, parents, et probablement enfants ne les reverront plus jamais. Pas même un dernier câlin, pas même une ultime accolade. D’autres policiers sont sortis blessés de cette opération. Le Nouvelliste a appris d’une source proche de l’hôpital Bernard Mevs que huit policiers sont en train d’y être soignés. Trois sont actuellement au bloc opératoire, a confié cette source. Le journal a vainement tenté d’obtenir une réaction de la police.
En début d’après-midi de ce vendredi, dans une intervention télévisée (programmée la veille), le président Jovenel Moïse a évoqué ce qui s’est passé à Village-de-Dieu. Le chef de l’État a annoncé que des policiers ont été tués sans en préciser le nombre. « Ce qui s’est passé à Village-de-Dieu aujourd’hui est révoltant. Des policiers sont tombés sous les balles des bandits, des blindés ont été incendiés. Ils sont tombés sur le champ de bataille, ils sont des héros », a fulminé le chef de l’État.
L’opération menée le 12 mars par la Police nationale d’Haïti s’est soldée par quatre morts et huit blessés dans les rangs des forces de l’ordre, selon un bilan provisoire, transmis au Nouvelliste par les autorités, tôt samedi 13 mars 2021, près de 24 heures après les affrontements. Les cadavres des policiers tués par les bandits de Village de Dieu ne sont « pas encore » retrouvés. La PNH et les Forces armées d’Haïti travaillent à une nouvelle opération, a confié au journal le Premier ministre Joseph Jouthe, samedi 13 mars.
Village-de-Dieu, zone de non-droit, est située à l’entrée sud de la capitale. Lieu de séquestration connu des victimes d’enlèvements, il abrite le gang appelé « 5 segonn ». La police tente de prendre le contrôle de la zone et d’en déloger les bandits depuis plusieurs mois. Les opérations précédentes ont été toutes caractérisées par des tirs sporadiques et des destructions de maisonnettes. L’opération de ce vendredi 12 mars est l’une des rares tentatives au cours de laquelle la police a tenté une pénétration dans cette zone considérée par plus d’un comme une souricière.
Sauf que ce n’est pas un film mais bien l’horrible réalité d’Haïti. « Cette familiarité des réseaux sociaux, c’est que la réalité y est médiatisée comme si c’était des jeux vidéo tels que Fortnite », me dit une amie spécialisée en communications. « On ne ressent plus ce qu’il y a d’humain, que nous avons un destin en commun. On est désensibilisés puisque nous sommes devant ce Fortnite à l’haïtienne. Et ceci arrive partout dans le monde. Aux États-Unis, le public ne ressent pas ce qu’il ressentait pendant la guerre du Viêtnam. Lorsqu’on envoie des soldats ou des drones en Afghanistan, le public américain le ressent comme le jeu vidéo Fortnite parce que tout est visionné à travers une caméra ».
Toutefois, tout passe par la gouvernance. Mais que faire quand cette dernière n’existe pas et que ce chaos morbide est soutenu par la Communauté internationale ? Y a-t-il des pays amis qui nous aideraient réellement à sortir de cet enfer où l’on broie les enfants d’Haïti et tous les autres innocents ?