Beaucoup de chose — en ce qui concerne ses pouvoirs d’instruction, de réformation, de réglementation, d’orientation, de coordination et d’exécution des lois — dans l’hypothèse d’une bonne gouvernance parlementaire et d’une grande confiance de la part du président de la République. Quasiment rien, en l’absence d’une bonne gouvernance parlementaire et d’une grande confiance de la part du président de la République. Le régime parlementaire, tel qu’il existe en Haïti, fragilise considérablement la mission du Premier ministre (Const. haït. – art. 129.2, 129.3 et 172), le pouvoir de censure dont dispose le Parlement à l’égard du Premier ministre n’étant ni moralisé ni rationalisé. Le Premier ministre peut faire l’objet d’une interpellation (tous les six mois) et d’un vote de censure, sans un motif fondé. La fonction du Premier ministre n’étant pas sécurisée par rapport au Parlement (v. Const. haït. – art. 111, 129.2 à 129.6, 159 et 161), il n’y a en réalité aucune garantie pour un Premier ministre d’exercer convenablement sa mission.
Aux termes de l’article 37.1 de la Constitution haïtienne, le président de la République peut mettre fin aux fonctions du Premier ministre sur la présentation par celui-ci de la démission du gouvernement. Sous couvert de cette disposition, le Premier ministre, dont la fonction n’est protégée par aucune norme, peut être limogé à tout moment par le président de la République. Même s’il répond aux intérêts des parlementaires et du président de la République, c’est lui qui subira le premier les conséquences des mécontentements ou soulèvements populaires. La réussite du Premier ministre ne dépend guère de sa volonté, son intelligence ou ses compétences, mais du tempérament du président et des parlementaires. En vertu des dispositions de l’article 166 de la Constitution haïtienne, le Premier ministre pourrait essayer d’optimaliser son gouvernement, notamment de réduire le nombre de ministères et de secrétariat d’État, mais là encore sa marge de manœuvre sera très limitée.
Il convient de rappeler en outre que le Premier ministre ne peut prendre que des arrêtés à portée juridique limitée, la réglementation sur des questions d’intérêt général étant de la compétence du Parlement haïtien (v. Const. haït. art. 111 et 159). Le Premier ministre peut soutenir des projets de lois au Parlement, mais il n’est pas habilité à règlementer les questions d’intérêt général. Il ne peut non plus interpréter les lois, actes et décrets ni se dispenser de les exécuter (v. Const. haït. art. 111, 159 et 161). La marge de manœuvre du Premier ministre est très limitée constitutionnellement pour produire les effets attendus de lui présentement en Haïti.
En réalité, la fonction de Premier est une institution incompatible avec les principes de la démocratie, de la gestion publique axée sur les résultats et de la garantie des droits et des droits de l’homme. Le Premier ministre est par nature une fonction très problématique même en France où cette fonction existait déjà depuis la première moitié du 17e siècle (1610-1643), sous le règne de Louis XIII, qui a eu pour principal ministre le cardinal de Richelieu. La fonction de Premier ministre à la tête d’un gouvernement sous l’autorité du roi, révocable à volonté par celui-ci ou censurable par un Parlement est un modèle de l’ancien régime monarchique de la France (Constitution française de 1791 – titre III : art. 4; ch. 1er, section III, art. 4; ch. 2, section I art. 7 et section IV art. 1-8). Sauf pour perpétuer la continuité du régime ancien où tout devait nécessairement émaner du roi ou d’un président monarque, elle n’est pas du tout à classer parmi les modèles performants en matière de gouvernance publique. On ne peut pas espérer grand-chose d’un Premier ministre. J’ose même dire que c’est bien dommage pour un pays indépendant de reproduire une telle institution dont les résultats resteront toujours incertains par déterminisme politique.
J’emprunterai simplement les mots de Lionel Jospin, un ancien Premier ministre en France, pour dire : « Le Premier ministre, paratonnerre du président de la République [est voué à une fin malheureuse] ; il doit partir, défait s’il a déplu ou pris trop d’importance, usé s’il a accompli son devoir avec dévouement ». Je me fie également à Édouard Balladur, un autre ancien Premier ministre français, qui a dit : « Premier ministre ? Fonction la plus difficile de la République, qu’on ne quitte que par le sacrifice ou par la défaite » (v. Bégoc Damien, 2011, Le dictionnaire des citations politiques). Cependant, ayant fait le serment de ne jamais me dérober devant un devoir ou une mission patriotique, je tiens à garder mes costumes et mes cravates bien rangés pour le jour où je serais appelé à servir la nation haïtienne.
Par Amos MAURICE, Docteur en droit public