Les enlèvements ont explosé en Haïti, mais la crise a des racines aussi bien politiques que criminelles.
Entre janvier et le 16 octobre de cette année, il y a eu 782 enlèvements, selon le Centre d’analyse et de recherche en droits de l’homme (CARDH). Il est certain qu’Haïti dépassera le record de l’année dernière (796), avec 119 enlèvements enregistrés au cours de la seule première moitié d’octobre.
Le pays n’avait pas connu de tels niveaux d’enlèvements depuis 2005, année où 760 avaient été signalés. Ces enlèvements ont eu lieu pendant l’escalade de la violence et les troubles politiques qui ont suivi l’éviction de Jean-Bertrand Aristide de la présidence. Aristide utilisait les gangs pour exercer un contrôle politique sur d’importants blocs de vote et instiller la peur chez ses rivaux. Lorsque leur chef a été chassé sans ménagement du pays, ils se sont révoltés. Une partie de cette révolte a consisté à kidnapper des gens en masse.
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Comme à l’époque, il y a des raisons politiques derrière ce fléau actuel, et certaines d’entre elles suivent les mêmes schémas que ce qui s’est passé après le départ d’Aristide. Voici trois raisons pour lesquelles les enlèvements échappent à tout contrôle en Haïti.
1. Pas d’élections
Depuis l’époque d’Aristide, les politiciens ont forgé des alliances étroites avec les gangs. Le contrôle des gangs sur les bidonvilles densément peuplés de Port-au-Prince fait d’eux les gardiens d’énormes blocs de vote. Pour de nombreux politiciens, ce pacte avec le diable peut faire la différence entre la victoire et la défaite.
Mais pour avoir accès à ces zones, les politiciens doivent payer. Parfois, ils leur donnent de l’argent liquide via des interlocuteurs, des ONG ou des fondations. Et lorsqu’il s’agit du parti au pouvoir, une grande partie de ce financement provient des petits tiroirs-caisses des ministères. Un ancien ministre de l’intérieur, par exemple, a déclaré à InSight Crime lors d’une récente interview que, lorsqu’il était au gouvernement, les gangs étaient payés avec le budget qu’ils utilisaient pour payer les informateurs du gouvernement.
D’autres fois, les politiciens permettent aux gangs d’avoir accès à des armes, des munitions ou des moyens de transport. La contrepartie peut également consister en une couverture de premier ordre contre des poursuites judiciaires ou des renseignements sur les opérations de police menées contre eux. En retour, les politiciens attendent des gangs qu’ils attaquent leurs rivaux politiques, qu’ils s’assurent que leurs partisans votent et que les partisans de leurs rivaux ne votent pas ou ne manifestent pas.
En d’autres termes, les élections sont un gros business en Haïti, en particulier pour les communautés pauvres et les gangs qui les habitent. Mais plus tôt cette année, lorsque le président de l’époque, Jovenel Moise, a contesté la durée de son mandat, la saison électorale a été reportée. Moise est resté en fonction, mais les membres du Congrès sont partis, et personne ne les a remplacés. Lorsque Moise a été assassiné en juillet, les élections ont de nouveau été reportées.
En réaction, les gangs ont peut-être eu recours aux enlèvements pour combler leur déficit budgétaire. Qui plus est, ils essaient peut-être de faire pression sur les politiciens pour qu’ils les paient plus régulièrement, indépendamment du calendrier des élections.
2. Les gangs gagnent en indépendance
Si les gangs ont longtemps servi les politiciens, ils montrent qu’ils sont de plus en plus les agents de leur propre destin. À cet égard, l’alliance des gangs G9 et Famille (G9 an fanmi) – qui a été établie, selon certaines sources, par des membres de l’administration Moise – est sans doute le plus grand changement de donne.
Après l’assassinat de Moise, le G9 a maintenu sa position comme l’une des forces criminelles les plus puissantes du pays. La coalition, dirigée par l’ancien policier Jimmy Chérizier, alias “Barbecue”, rassemble neuf des gangs les plus puissants de Port-au-Prince, dont certains sont soupçonnés d’être profondément impliqués dans des enlèvements. Barbecue lui-même est également accusé d’enlèvement, selon la police.
VOIR AUSSI : Jimmy Chérizeier, alias “Barbecue”.
D’anciens membres du G9, comme Grand Ravine et Village de Dieu, sont également impliqués dans des enlèvements. En octobre 2020, alors que le Grand Ravin faisait encore partie du G9, il a été impliqué dans une affaire d’enlèvement de haut niveau. Renel Destina, alias “Ti-Lapli”, le chef du gang, a annoncé à la radio l’enlèvement de Wolf Hall, un entrepreneur de loterie.
Alors que dans le passé, ces gangs auraient pris leurs marques (et leur argent, voir ci-dessus) auprès des politiciens, ils sont maintenant hors de la chaîne, libres de suivre toute voie qu’ils jugent nécessaire pour satisfaire leurs besoins économiques.
3. Prolifération et expansion des gangs
Le mandat de Moise a été caractérisé par une certaine “gangstérisation” d’Haïti. Non seulement les politiciens comme Moise ont donné du pouvoir aux gangs, mais ils ont également augmenté en nombre et en portée.
Des bidonvilles entourant le port de la capitale à Pétion-Ville, l’un des quartiers les plus huppés du pays, en passant par la vallée centrale, les gangs prolifèrent. Selon les Nations Unies, Haïti compte aujourd’hui environ 167 gangs.
Parmi eux, les 400 Mawozo. Traduit approximativement par “400 Rednecks”, ce gang est l’un des groupes criminels qui se développent le plus rapidement dans le pays, étendant son territoire du quartier de Croix-des-Bouquets, dans la banlieue de Port-au-Prince, à la frontière avec la République dominicaine. Plus de la moitié des enlèvements perpétrés l’année dernière sont attribués aux 400 Mawozo, y compris l’enlèvement des 17 missionnaires américains le 16 octobre.