Refus de sa condition d’esclave. Un rebelle, un vrai nègre marron, au corps lacéré de cicatrices laissées par les verges de fer. Farouche refus de l’inégalité sociale régnant alors à Saint-Domingue
Une telle opposition du sujet aux conditions de son existence le conduit nécessairement à la révolte. L’individu « se rend compte qu’il n’est plus seul avec le destin », explique Albert Camus dans L’homme révolté. Il s’identifie alors aux autres hommes souffrants. Aussi, le fondement de toute révolte, « cet élan qui revendique l’ordre au milieu du chaos », est-il la solidarité. On la trouve à la base de la rébellion générale des esclaves de Saint-Domingue. Victor Hugo en fait la source d’inspiration de son premier grand roman, le Bug Jargal, écrit à 16 ans, en 1818.
Il a naguère existé des hommes du refus chez nous, de vrais dessaliniens.
D’abord Henri Christophe. Sommé par le représentant de Sa Majesté le Roi de France, Franco de Medina, de payer la dette de l’Indépendance, Christophe explosa de colère. Il fit fusiller Franco Medina. Séance tenante, il mit son armée au grand complet sur pied de guerre.
En dépit des nombreuses pressions exercées sur lui, Nissage Saget refusa toute prolongation de son mandat présidentiel. La constitution de son pays le lui interdisait. Il préféra se retirer sur ses terres à Saint-Marc. Leçon dont nos actuels politiciens peuvent bien se moquer.
Quand la communauté internationale demanda au général Turenne Jean- Gilles, commandant du département du Nord, de marcher sur Port-au-Prince à la tête de ses troupes pour renverser le progressiste président Antoine Simon, indigné, Turenne s’écria : « Non, jamais ! »
Aujourd’hui, nous acceptons tout. Nous nous complaisons dans une indigne condition d’esclaves. Nous nous repaissons des misérables ersatz de la médiocrité et de la superficialité. Nous vivons dans le mode de l’inauthentique, dans le philistinisme culturel. S’ils avaient été vivants, Nietzsche et Heidegger nous auraient sévèrement pointé du doigt. En vérité, nous avons perdu le réflexe nauséeux. Nous avalons l’iniquité comme l’eau. Nous nous vendons au plus fort.
Hélas, Haïti de nos jours est réduite à faire siens ces vers très connus d’Alfred de Musset :
« J’ai perdu jusqu’à la fierté
Qui faisait croire à mon génie ! »
C’est un refus collectif, le Refus global, en août 1948, qui inaugura l’ère de la révolution tranquille, grâce à laquelle le Québec se trouve maintenant dans une position d’avant-garde.
En ce dernier trimestre de 2006, il ne reste plus grand-chose de l’héritage du Fondateur de notre patrie.
Voulons-nous redevenir dessaliniens ?
Si tel est le cas, ayons le courage de dire non au démantèlement systématique de notre pays.
PAR MICHEL-ANGE MOMPLAISIR