Antoine Rossini Jean-Baptiste, dit Ti Manno, nous indique toujours la voie à suivre, à travers ses différentes chansons. Ti Manno utilisait la musique pour faire passer des messages chansons. Il y a toujours un « message à retenir » dans les œuvres de Ti Manno. L’artiste fait toujours preuve d’un‘’esprit critique’’ dans ses textes. Il critique les vices de la société, dénonce les abus de pouvoir, reprouve les abus sexuels et désapprouve les discriminations sociales, le racisme, l’égoïsme.
Le musicien Ti Manno est né le 1er juin 1953 aux Gonaïves, connu d’abord sous le nom de ”Emmanuel Jean-Baptiste”. Ensuite, il devient officiellement Antoine Rossini Jean-Baptiste. Ce dernier a fréquenté plusieurs groupes musicaux du rythme compas direct. Mais ‘’DP Express’’ et ‘’Gimini All Star de Ti Manno sont les deux groupes avec lesquels il a connu ses plus grands succès, entre 1978 et 1984.
Ti Manno, le messager
Ce natif des Gonaïves ne rate jamais une occasion pour faire un message. Il ne fait pas que critiquer les anomalies de la société haïtienne. Aussi, Ti Manno propose, à travers ses chansons, des alternatives. Souvent il prêche l’union, l’amour, la fraternité et la solidarité entre les hommes. C’est un chanteur qui s’adresse en permanence au public. Que ce soit à travers ses chansons, ses concerts ou des interviews, etc. Des titres comme « Exploitation; L’argent ; Corriger ; Mariage d’intérêt ; Canter, etc…» définissent très bien le côté messager de Ti Manno.
L’ ’’exploitation’’ c’est ce qui tue le monde. Des riches deviennent de plus en plus riches, et des pauvres sont de plus en plus appauvris, chante Antoine Rossini Jean-Baptiste. Il croit que la fraternité et l’égalité entre les hommes pourraient remplacer l’exploitation de l’homme par l’homme, surtout en Haïti.
Cependant, il voit un grand obstacle à la solidarité humaine qu’est l’argent. ‘’L’argent’’ est l’une des chansons phares de Ti Manno. A travers cette chanson, il met l’accent sur les vices cachés, les flatteries, les bassesses et la soumission des gens pour de l’argent ; et il accorde, en même temps, une priorité à l’éducation. « Il y a plusieurs façons d’avoir de l’argent. Mais il y a une seule façon d’être cultivé… c’est aller à l’école », a fait savoir le chanteur. Malheureusement « ici-bas, seul l’argent compte », s’indigne Ti Manno.
Malgré tout, Ti Manno croyait à l’union, à la solidarité, à la paix et surtout à la fraternité. C’est pourquoi il nous demande de corriger certaines de nos mauvaises pratiques sociales comme l’abus sexuel, le harcèlement, la discrimination, l’égoïsme, le sexisme etc. « Genyen yon seri patwon se pa konesans yo ap chèche, se pito yon moun ki pou plè santiman yo…», décrit la chanson ‘’Corriger’’ qu’il a composée au sein du groupe DP Exppress en 1979. L’amour ne doit pas être une des conditions de travail, selon ce dernier.
C’est dans cette optique que Ti Manno dénonce les mariages d’intérêt, et critique en même temps les vices de certaines femmes. Dans le premier cas, il présente le comportement malhonnête de certaines familles. Il met en cause des parents qui interfèrent dans les relations amoureuses de leurs enfants pour de l’argent. C’est de la barbarie, selon le musicien. Et dans le second cas, il explique le comportement irrespectueux de certaines femmes qui couchent avec des personnes âgées (hommes) juste pour satisfaire leurs besoins matériels.
De ce fait, l’artiste les qualifie de « Fanm lèd ». Là il ne parle pas des attraits physiques de la femme en interprétant cette chanson, mais il voit la faiblesse des femmes du côté mental; contrairement au groupe SuperStar de New York qui décrit l’aspect physique de la femme à travers la chanson « Tifi lèd », interprétée par Jacques Sauveur Jean.
Aujourd’hui, l’on parle encore du phénomène de‘’Madan papi, de ‘’Limena’’ et de ‘’Lougawou’’qui devient une pratique sociale en Haïti. Ainsi, Ti Manno n’était-il pas en avance sur son temps ? Certains le considèrent comme un prophète, d’autres comme un militant et/ou chanteur engagé…
L’artiste-défenseur
Ti Manno avait une voix séduisante, captivante. Il a utilisé cette voir pour revendiquer et défendre les droits de ses contemporains. Il est considéré, à travers ses chansons, comme étant l’un des défenseurs de la culture haïtienne. « Woy di m sa k ap pase la. Ala m gen rara m, mwen fout gen vye tanbou m, mwen gen vye vodou m, yo di m pou m voye l jete… Ban m vodou m, ban m rara mwen… » (Extrait de la chanson ‘’Men kilti pa nou’’). Dans cette chanson Ti Manno ne dénonce pas seulement les hypocrisies de la société haïtienne, mais aussi il défend le folklore haïtien.
Et, dans la chanson ‘’Canter’’, il dénonce les mauvais traitements que subissaient les Boat people haïtiens de l’époque. Il déconseille aux Haïtiens de prendre le canter pour aller vers des destinations inconnues…‘’Boat people’’ n’est pas la solution… il faut planter, s’investir dans l’agriculture, conseille le musicien. Malheureusement, le phénomène Boat people existe encore dans le pays. Ces derniers temps, l’on constate un flux migratoire des Haïtiens vers l’étranger (Chili, Brésil en particulier). De plus en plus nombreux, des Haïtiens fuient leur terre natale.
Pour certains, Ti Manno était la voix des sans-voix, car il défend toujours les plus faibles. Il revendique l’utilisation de la langue créole dans le transport aérien ; au sein des églises et dans la société haïtienne en général. En effet, il dénonce la célébration des messes qui se faisait en latin. « Il faut respecter nos compatriotes, car tous les Haïtiens ne parlent pas le français », se révolte Ti Manno. « Tous les Haïtiens ont les mêmes droits, qu’ils parlent français ou non », s’indigne-t-il dans la chanson ‘’Operasyon men kontre’’. Pas de développement si nous n’utilisons pas la même langue (la langue créole), précise-t-il.
Nous sommes en danger, alerte l’artiste. Les chansons ”Nan danje” et ”Sors du tiers monde” sont deux (2)textes dans lesquels Ti Manno a encouragé les Haïtiens à se méfier des dangers du monde dans les années 80. Déjà, Antoine Rossini Jean-Baptiste a fait la différence entre « faculté et université » ; entre « instruction et éducation ». Il nous a prédit des écoles et des universités que l’on appelle aujourd’hui ‘’école borlette’’ où ‘’parler français’’ devient un métier. De ce fait, les diplômes n’ont plus de valeur…, a écrit Ti Manno,au début des années 80.
Aujourd’hui on voit les conséquences de ce que dénonce Ti Manno au cours des décennies 70 et 80. La situation s’empire de jour en jour. Harcèlement sexuel dans le milieu du travail ; abus sexuel ; l’exploitation sociale ; discrimination sociale ; boat people (canter); flux migratoire des jeunes Haïtiens vers l’étranger ; corruption, chômage, complexe d’infériorité, etc, décrivent la réalité quotidienne d’Haïti… Si Ti Manno vivait encore il crierait haut et fort, cessez…!
Ti Manno, un héritage incomparable….
Aujourd’hui, quel chanteur haïtien du compas direct n’imite pas le style de Ti Manno? Ils ne sont pas nombreux, ceux qui ne l’imitent pas. Trente-cinq (35) ans après sa mort, on chante encore Ti Manno. Incontestablement, il reste l’artiste le plus imité et le plus interprété au cours des 35 dernières années. Imgart Manigart, Garcia Delva, Elliot Alouidor (Ti Ello); Dely Dieudonné François (Ti Dely) ; Kenny Desmangles, Frérot Jean-Baptiste ; Dabenz Chery, etc, tous ces artistes imitent d’une manière ou d’une autre Ti Manno (yo gen yon Ti Manno nan yo…)
Et tous les chanteurs de DP Express qui succèdent à Ti Manno, à partir de 1981, ont imité sa voix (Benito Philogène, Perez J. Alvarez, Pierre Dumarais Louis-Jacques (Dumas), Pierre-Richard Louis, Victor Bideau (Vicky), Lesly Guillaume (dit Patchouko), Eric Charles, etc.). Ti Manno devient un modèle vocal du compas direct pendant ces 35 dernières années. Il a fait école, comme on le dit souvent en Haïti.
Malheureusement Antoine Rossini Jean-Baptiste (Ti Manno) n’a pas vécu longtemps. Ti Manno est décédé le 13 mai 1985 à New York. Le génie n’a qu’un siècle, pour répéter Voltaire. Aujourd’hui, ses chansons sont plus vivantes que jamais. Il était un grand compositeur, un bon arrangeur et surtout un grand parolier. Ti Manno a vécu seulement 32 ans ; mais ses œuvres restent et demeurent « une bonne voie à suivre…»
Michelet Desrosiers
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