Le général noir se servit du pouvoir métropolitain comme tremplin pour construire son propre édifice étatique. Il employa parfois la ruse, en faisant preuve d’une souplesse et d’une soumission totale aux représentants de la République, dont il chercha à défendre et à consolider l’autorité contestée et menacée par certains officiers mulâtres. Il joua souvent à l’idiot, en faisant semblant de placer sa totale confiance en un représentant de l’autorité française à Saint-Domingue, dans le but de s’en débarrasser. Aussi fit-il nommer certains représentants du pouvoir métropolitains députés, parce qu’il les considérait comme les seuls vraiment dignes et aptes à défendre les intérêts des Noirs et de Saint-Domingue en France. Cette façon de procéder l’aida à écarter tous ceux qui représentaient un obstacle à son ambition de devenir le détenteur de l’autorité suprême de l’île entière. Il souleva la population contre ceux qui ne se prêtaient pas à ce jeu n’hésitez pas à jeter en prison les plus récalcitrants.
Profitant de son rang dans l’armée de Saint-Domingue et de son influence sur les nouveaux libres, Toussaint Louverture donna l’ordre
à l’un de ses lieutenants, Henry Christophe, membre du Collège électoral, de faire élire députés le gouverneur Laveaux et le
commissaire Sonthonax . Contrairement aux autres députés, Sonthonax, ayant compris le petit jeu du général, refusa de partir. Sans tenir compte du fait qu’il venait d’être nommé général en chef par ce dernier , sur recommandation du gouverneur Laveaux, le 19 août
1797, Toussaint Louverture, accompagné de nombreux membres de son état-major, se rendit à la résidence du commissaire pour lui apporter une lettre lui faisant injonction de se rendre en France afin de remplir son mandat de député de Saint-Domingue. Face aux hésitations de Sonthonax, il fit une démonstration militaire et mobilisa la population de la ville du Cap-Français. Pris de panique, le 24 août, l’un des plus hauts représentants du pouvoir métropolitain s’embarquent pour la France .
Pour freiner l’ambition du général noir, le Directoire nomme un nouvel agent à Saint-Domingue en la personne du général Hédouville.
Sa mission consistait en particulier à assurer la tranquillité intérieure et extérieure, nommer aux emplois publics, faire exécuter rigoureusement la Loi contre les émigrés . L’arrivée au Cap Français, le 20 avril 1798, de ce représentant de la République aux
pouvoirs étendus, déplut à Toussaint Louverture. Il ne tarda pas à s’en débarrasser huit mois plus tard, car sa présence dans la colonie constituait un obstacle au dessein du chef noir. Il fomente une mutinerie du 5e régiment colonial, composé uniquement d’indigènes, suivie de la révolte des cultivateurs du Nord contre l’agent du Directoire. Toussaint Louverture entra au Cap à la tête de 14 000 soldats et exigea le départ immédiat d’Hédouville pour la France. Pour éviter le pillage de la ville, Hédouville s’embarqua pour la France le 23 octobre 1798, en compagnie d’autres représentants du pouvoir métropolitain . Effrayés, 2 000 soldats, fonctionnaires et planteurs blancs durent également quitter la colonie.
Roume, le successeur d’Hédouville, allait subir toutes les vexations et humiliations imaginables de la part de Toussaint Louverture qui, pourtant, était censé être son second. Malgré sa volonté de ne pas se comporter en chef, mais en collaborateur, Toussaint Louverture n’hésita pas à procéder à son arrestation et à l’emprisonner . Il le fit libérer trois mois plus tard, puis s’embarqua pour la France. Ainsi, l’homme fort de Saint-Domingue humilia et écarta successivement tous les émissaires de la République. La France napoléonienne semblait perdre définitivement le contrôle de son ancienne colonie.