Ce jour-là, les assaillants semblent être entrés avec facilité dans la résidence privée. Quelques heures plus tard, la police haïtienne avait fait montre d’une rapidité exceptionnelle en arrêtant une vingtaine d’individus dont 18 anciens militaires colombiens.
Ce fait d’armes n’a, pour l’heure, été suivi que de très lentes procédures judiciaires en Haïti et aux États-Unis. La présidence est depuis vacante, et aucune date n’est en vue pour un scrutin qui permettrait de nommer un successeur.
À Port-au-Prince, pas moins de cinq juges d’instruction successifs ont déjà été chargés du dossier et aucun n’a encore formellement inculpé la quarantaine de personnes emprisonnées, dont les citoyens colombiens présumés membres du commando.
Le secrétaire d’État américain Antony Blinken s’est dit préoccupé par « les progrès limités » de l’enquête et a regretté que les autorités haïtiennes n’aient pas instauré de « mesures de sécurité renforcées pour protéger le personnel judiciaire affecté à l’affaire ».
Tristement réputée pour sa lenteur, la justice haïtienne est plus que jamais à la dérive dans la capitale : depuis un mois, les locaux du parquet de Port-au-Prince sont occupés par l’un des nombreux gangs qui multiplient les enlèvements crapuleux.
Le climat politique est tendu dans les rues de la capitale haïtienne.
Le premier ministre cité
La possible implication du premier ministre est venue encore enrayer l’enquête.
Nommé seulement deux jours avant l’assassinat, Ariel Henry est suspecté d’avoir eu des conversations téléphoniques avec l’un des principaux suspects quelques heures après l’attentat.
Invité par le procureur à s’expliquer, il ne s’est pas présenté, qualifiant la démarche de « diversion ». Il a ensuite limogé le magistrat et nommé un nouveau ministre de la Justice.
Cette zone d’ombre a poussé la veuve du président, Martine Moïse, grièvement blessée lors de l’attaque, à repousser sèchement l’invitation aux hommages officiels à son mari, organisés par un « chef du gouvernement (qui) fait l’objet de présomptions graves d’assassinat sur le président de la République ».
Jeudi matin, c’est donc une brève cérémonie qui s’est tenue au cœur du jardin du musée du Panthéon national, à Port-au-Prince.
« Malgré sa faiblesse, la justice doit continuer à faire le maximum pour traquer les coupables […] et leur infliger des peines exemplaires et dissuasives », a affirmé Ariel Henry.
À la mi-journée, plusieurs milliers de partisans du défunt président ont manifesté contre le premier ministre qu’ils accusent d’être lié au complot meurtrier.
La police a repoussé le cortège qui voulait se diriger vers les hauteurs de la capitale, où se trouve la résidence où Jovenel Moïse a été criblé de balles.
Ce meurtre n’a fait qu’aggraver la déjà profonde crise politique haïtienne.
Le Parlement n’est pas fonctionnel depuis deux ans, Jovenel Moïse n’ayant organisé aucune élection depuis son arrivée au pouvoir en 2017. Et, privé de chef d’État, le pays s’est retrouvé avec un pouvoir judiciaire tout aussi défaillant, faute de juges nommés à la Cour de cassation.
Un hommage à l’ancien président à Port-au-Prince
Preuves classifiées aux États-Unis
Faute de confiance dans les institutions de Port-au-Prince, nombre d’Haïtiens tournent leur regard vers la justice américaine, qui a inculpé trois suspects à Miami.
La police judiciaire haïtienne a établi, dans son rapport d’enquête, que le complot contre le président avait été fomenté en Floride et les mercenaires colombiens recrutés par une société de sécurité basée à Miami.
En janvier, deux premiers suspects ont été inculpés en Floride : Mario Palacios, un ressortissant colombien suspecté d’être l’un des cinq hommes armés qui sont entrés dans la chambre où a été tué le dirigeant, et Rodolphe Jaar, un citoyen haïtiano-chilien.
S’est ajoutée une troisième inculpation en juin, celle de l’ex-sénateur haïtien John Joël Joseph, pour complicité de meurtre.
Un quatrième membre présumé de l’attaque avait été arrêté à l’aéroport d’Istanbul en novembre, mais la justice turque a rejeté lundi la demande d’extradition formulée par Haïti et ordonné sa libération.
Et les espoirs nés de l’avancée de la procédure judiciaire à Miami ont été douchés quand, en avril, un juge américain a décidé de classer secrètes certaines preuves et auditions.
La mesure a été prise, car figurent parmi les suspects deux anciens informateurs de l’agence antidrogue américaine DEA et un ancien informateur du FBI.
« Nous ne voyons pas d’un bon œil le fait que les États-Unis se donnent cette possibilité de protéger certaines informations », note une source judiciaire haïtienne. « Tout un pan de cette histoire restera inconnu ».