Pour étudier les conséquences de la corruption d’un gouvernement sur ses citoyens, l’économiste comportemental Simon Gätcher, de l’université de Nottingham (Angleterre), et Jonathan Schulz, de l’université de Yale, ont d’abord hiérarchisé le degré de corruption global de plusieurs gouvernements, en fonction de trois critères : le niveau de fraude politique, d’évasion fiscale et de corruption directe.
Les chiffres ayant permis d’élaborer cette hiérarchie datent de 2003, tandis que les expériences ont eu lieu entre 2011 et 2014. Les volontaires avaient 21 ans. Toutes ces précautions ont été prises afin de s’assurer que les individus n’avaient pas pu contribuer à la corruption du gouvernement, mais étaient assez âgés pour en intégrer les normes sociales biaisées et pour être influencés par la corruption nationale.
Pour cette expérience, 2 568 personnes se sont portées volontaires à travers 23 pays. Chacune devait simplement effectuer deux lancers de dé, et noter le résultat du premier lancer sur un papier. Elles recevaient ensuite une récompense financière proportionnelle au nombre inscrit, mais ne touchaient rien si elles faisaient un 6. L’expérience se déroulait sans témoin, laissant les individus libres d’inscrire le nombre de leur choix.
Pour interpréter les résultats, les chercheurs avaient calculé que si tout le monde était honnête, la moyenne des nombres inscrit devait être de 2,5. Si tous les participants étaient complètement malhonnêtes, elle devait être de 5, puisque c’est pour ce chiffre qu’ils recevaient la plus importante somme d’argent.
Le rapport de l’étude est paru en mars 2016 dans la revue Nature, et montrent que les individus originaires des pays les plus corrompus (en fonction des critères évoqués plus haut), comme la Tanzanie, le Kenya, le Guatemala ou la Géorgie, étaient plus enclins à tricher que ceux dont le gouvernement est moins gangréné, comme la Suède, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Australie ou le Royaume-Uni.
En se penchant sur les détails, les chercheurs ont cependant constaté qu’il y avait des nuances dans la malhonnêteté. En effet, même dans les pays les plus corrompus, les participants ne mentaient pas totalement sur leurs résultats, mais se contentaient d’inscrire leur lancer de dé le plus élevé des deux. Schulz explique : « Les gens du monde entier sont plutôt honnêtes. Ils tendent à agir selon une « malhonnêteté justifiable », mais le critère du « justifiable » semble varier largement en fonction du niveau de corruption de chaque pays d’appartenance ».
Ces résultats confirment la théorie économique classique, qui veut que les individus cherchent à gagner autant que possible tout en continuant de se considérer comme honnêtes. Les deux forces s’équilibrent donc, mais Schulz souligne qu’il est « plus facile de garder une bonne image de soi-même quand on voit encore plus de corruption autour de soi ».
Haïti est classé 161ème sur 180 pays dans le cadre du rapport de l’organisme Tranparency International sur l’Indice de perception de la corruption pour l’année 2018. La République a chuté de 4 places. L’année précédente, elle était en 157ème position dans le classement réalisé par cette agence internationale.
Le numéro 1, selon le document de Transparency International, est le Venezuela (168e place). Le pays de Nicolas Maduro en proie à une crise aigüe, a enregistré un score de 18 sur 100 alors qu’Haïti en a eu 20.
La voisine d’Haïti, la République dominicaine a, quant à elle fait de considérables efforts dans la lutte contre la corruption. Placée 135ème position en 2017, elle occupe la 129ème place pour l’année 2018. Haïti est l’unique pays de la Caraïbe à obtenir ce score en raison du degré de corruption qui y règne. Elle partage son rang avec des pays du continent africains dont le Cambodge, la Turkménistan et la République Démocratique du Congo.
L’eldorado des haïtiens jusqu’à récemment, le Chili se trouve à la 27ème position. S’agit-il d’un paramètre qui justifie le flux migratoire des haïtiens vers ce pays de l’Amérique latine ? Treize (13) enquêtes ont été mises en branle pour aboutir à ce travail qui présente la perception de corruption dans cent-quatre-vingt (180) Etats à travers le monde sur le chiffre 100. Haïti a obtenu 20.
La moyenne obtenue par Haïti ne surprend pas, la corruption étant considérée comme l’un des problèmes du pays depuis des années. Les derniers exemples en date, le rapport de la Cour des comptes sur les fonds Petrocaribe ainsi que le rapport d’enquête de l’Unité de lutte contre la corruption réalisée sur l’administration de Patrick Noramé au bureau de monétisation d’aide au développement (BMPAD). Ce dernier scandale de corruption éclabousse des personnalités de l’administration publique.
Transparency International lance un appel à tous les gouvernements. Il les invite à renforcer les institutions chargées de maintenir l’équilibre des pouvoirs en vue d’atteindre un réel progrès dans la lutte contre la corruption (considéré comme le principal responsable de l’état du pays) et consolider la démocratie dans le monde.
Le président de la République Jovenel Moise, depuis son arrivée au pouvoir, ne rate aucune occasion pour vanter sa velléité à combattre le phénomène de la corruption, ce mal qui ronge la société haïtienne. Ce classement de Transparency International, vient-il inscrire en faux les déclarations du chef de l’État?
La conclusion ultime de cette expérience va cependant plus loin. Elle met en lumière l’inefficacité de la lutte contre la corruption en passant par les gouvernements, car les citoyens ont grandi avec des normes autorisant la corruption. Pour être efficace, il ne faut donc pas s’attaquer aux institutions, mais éduquer les jeunes personnes, futurs citoyens. Un chemin long et difficile selon Schulz, mais qui en vaut la peine.