Haïti, jeune nation d’à peine 500,000 habitants en 1804 était déjà passée à 3,097,220 habitants en 1950, année du premier recensement national. Soixante-dix ans plus tard, sa population a pratiquement quadruplé, atteignant environ les 12 millions, avec 54% âgés de moins de 25 ans et 31% dans la tranche de 10 à 24 ans. A cela, il faut ajouter 260,000 nouveaux enfants qui naissent chaque année et qu’il faut déjà se préparer à nourrir, à éduquer, à soigner. Au premier regard, il s’agit d’un potentiel énorme de jeunes talents pour tout pays désireux d’avoir une population avec un système immunitaire plus résistant, un capital humain dynamique et apte à innover au rythme d’un monde changeant.
En réalité, d’ici 2030, deux millions d’haïtiens viendront s’ajouter aux deux millions actuels âgés de 15 à 24 ans dont le taux d’inactivité actuel atteint les 70%. Cette fragilité socio-économique rend cette jeunesse disponible tant pour les meilleures opportunités professionnelles que pour des activités criminelles. En 2020, ils étaient 108,326 à se présenter aux examens de fin d’études secondaires. Mais, ces bacheliers sont les rescapés d’une classe d’âge d’environ 1,500,000 enfants ayant débuté leur scolarisation une quinzaine d’années plus tôt. Avec ce très faible taux d’achèvement de moins de 10%, on comprend mieux la situation de fragilité des 90-95% de jeunes avec un avenir professionnel incertain.
Une longue transition démographique avec des efforts peu suffisants.
Historiquement, la modernisation dans beaucoup de sociétés est précédée d’une baisse importante des différents taux de mortalité et d’un recul structurel de la fécondité. A défaut d’un recensement récent de la population, (le dernier datant de 2003), l’enquête Mortalité, Morbidité et Utilisation des Services (EMMUS-VI) 2016-2017, confirme qu’Haïti poursuit sa très longue transition démographique avec une diminution de la mortalité infantile des moins de 5 ans. De 219.6 pour mille entre 1950-1955, le taux est passé à 80 pour mille entre 1995-2000, pour se situer à 59 pour mille en 2017. Ces efforts, certes, contribuent au rajeunissement de la population. Mais ils restent nettement insuffisants car Haïti connaît les taux les plus élevés de mortalité infantile de l’hémisphère occidental.
On observe également une réduction du nombre d’enfants par femme. L’indice synthétique de fécondité a également considérablement baissé, passant de plus de 6 enfants par femme dans les années 1980 à 4 enfants par femme dans les années 2000 pour atteindre 2,9 enfants aujourd’hui. Toutefois, cet indice est supérieur aux niveaux de fécondité de la région en comparaison avec Cuba 1,7 enfants par femme, Costa Rica 1,8, le Nicaragua 2,2 et la République dominicaine 2,4. Sans être dans une configuration d’explosion démographique, Haïti figure donc parmi les pays à forte natalité au niveau de la région Amérique latine et Caraïbes.
Il est clair qu’avec une faible population de personnes âgées à prendre en charge aujourd’hui, Haïti aurait déjà pu mettre à profit le potentiel de sa jeune population, si la baisse de la fécondité était plus importante et si les ressources nationales étaient mieux investies pour protéger, encadrer les multiples talents de ce capital humain.
La bombe du chômage des jeunes à désamorcer
L’arrivée massive sur le marché du travail de milliers de jeunes, non formés et non préparés est une bombe à retardement dans l’état actuel d’une économie démarrant la présente décennie avec un taux négatif anticipé à -4% en 2020. Le chômage et le sous-emploi des jeunes restent alarmants, surtout quand l’on les corrèle à la croissance démographique des jeunes, à la faible compétitivité, à la faible croissance et incidemment au peu de création d’emplois. Pour changer radicalement la donne, l’emploi-jeune doit être au cœur des politiques publiques dans un pays où 70% de la population affiche moins de 30 ans. La multiplication des divers groupes de gangs dans les bidonvilles est possible à cause du manque d’emplois qui expose les jeunes à diverses manipulations ou à des comportements délinquants. Les statistiques des cas de criminalité : kidnapping, viols, homicides sont aujourd’hui nettement en hausse.
L’éducation, la formation, l’emploi-jeune restent les moyens les plus efficaces, tant pour préparer les jeunes à affronter ce monde incertain, que pour prévenir, désarmer et réinsérer les jeunes en situation de délinquance. Plus que jamais, la prise en charge des adolescents et jeunes haïtiens doit être un construit collectif, car il s’agit globalement de former des citoyens avertis, conscients de leurs responsabilités et acteurs de changement, surtout dans leur milieu.
C’est déjà en partie l’ambition du nouveau secondaire, avec notamment son nouveau cours d ‘éducation à la citoyenneté. C’est aussi l’objectif du projet de la toute première loi sur la formation technique et professionnelle présentée et défendue au Parlement en septembre 2014 et votée finalement en 2018. Mais c’est surtout la mission de la Commission Nationale de Réforme Curriculaire (CNRC) créée par arrêté ministériel du 11 septembre 2014. Sa mission est de moderniser le socle commun de connaissances, de compétences et de culture nécessaires à la refonte des curricula du Préscolaire jusqu’au Secondaire à la lumière des besoins socio-éducatifs, économiques et politiques exprimés par les différents acteurs nationaux. Les travaux de la CNRC devraient se poursuivre d’autant plus que des protocoles d’accord ouvrant la voie au partage de connaissance et d’expertise ont été signés avec Cuba, Finlande et la France à ce sujet entre 2014 et 2016.
En conclusion, accélérer et exploiter le bonus démographique est l’un des chantiers de 2021. Ceci passe par un nouvel effort de réduction de l’indice de fécondité d’une part et par un investissement dans l’avenir professionnel de cette jeune population. Mais ceci ne sera pas possible sans l’amélioration du statut de la femme dans la société et sans une politique publique de jeunesse appropriée. Idem pour les emplois-jeunes qui nécessitent un environnement d’affaires approprié et des pratiques de bonne gouvernance économique et financière.
Nesmy Manigat
7 Janvier 2021
Haïti 2021: Bonus ou bombe démographique des jeunes ?
Publié le 2021-01-07 | Le Nouvelliste. Nesmy Manigat.