Ces élections ne seront pas parfaites, elles ne régleront pas tous les problèmes, mais elles constitueront un pas de plus vers la démocratie en Haïti (1) », affirmait M. Edmond Mulet, le chef guatémaltèque de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah), quelques jours avant la présidentielle du 28 novembre. Au printemps, M. William Clinton, ancien président des Etats-Unis et envoyé spécial de l’Organisation des Nations unies (ONU), s’était montré encore plus confiant : « Les élections sont bien l’une des rares questions pour lesquelles nous n’avons pas à nous faire de souci (2). »
Le vote passé, la population ne décolère pas. Des manifestants dénoncent le processus électoral ; six groupes d’observateurs électoraux nationaux déplorent la « façon désastreuse » dont s’est déroulé le scrutin (3) ; quatorze des dix-neuf candidats en demandent l’annulation, certains évoquant une fraude massive. Présentée comme essentielle à la restauration de la stabilité du pays à la suite du séisme du 12 janvier 2010, l’élection apparaît comme un fiasco. Toutefois, la première réaction de la Minustah, de l’Organisation des Etats américains (OEA) et de l’administration américaine est de minimiser les problèmes et d’accorder un crédit de principe aux résultats.
Interrogé sur l’opportunité d’organiser une élection au beau milieu d’une épidémie de choléra, l’ambassadeur américain en Haïti, M. Kenneth Merten, a rétorqué : « Le gouvernement haïtien estime (…) que les questions de santé publique n’interdisent pas la tenue du scrutin. » Après tout, concluait-il, « c’est une élection organisée par Haïti ».
Par Haïti, vraiment ? Les donateurs privés ont fourni l’immense majorité des fonds nécessaires à son organisation : 14 millions de dollars en provenance des Etats-Unis, 7 millions versés par l’Union européenne et 5,7 millions par le Canada. L’Agence américaine pour le développement international (Usaid) a offert une assistance technique et matérielle après avoir commandité un rapport garantissant « la faisabilité de la tenue d’élections libres et justes ». De son côté, la Minustah s’est chargée de la logistique du dépouillement.
Les observateurs haïtiens avaient-ils souligné la nomination des membres du Conseil électoral provisoire (CEP) par le président en fonction, M. René Préval, en parfaite violation de la Constitution ? Aucun des bienfaiteurs étrangers ne s’interrogea vraiment sur son impartialité. Chargé d’organiser et de superviser l’élection, le Conseil avait pourtant décidé d’interdire le parti Fanmi Lavalas (FL) — dirigé par l’ancien président en exil Jean-Bertrand Aristide et considéré comme le parti le plus populaire du pays — ainsi qu’une douzaine d’autres organisations politiques.
Le phénomène d’exclusion électorale ne fut pas limité aux partis. Des centaines de milliers d’Haïtiens ont perdu leur carte nationale d’identité au moment du séisme. Parmi ceux qui disposent toujours de leurs papiers, certains vivent désormais dans des camps qui ne correspondent plus à leur ancienne circonscription. Le CEP et l’Office national d’identification (ONI) avaient promis de régler ces problèmes avant le scrutin… sans y parvenir.
Et puis élections et choléra ne font pas bon ménage. Dans les régions les plus touchées, les gens évitent de se rassembler, que ce soit au marché ou dans les églises. Faut-il s’étonner qu’ils n’aient pas procédé différemment le jour de l’élection ? A en croire les témoignages de la base logistique de l’ONU à Port-au-Prince, leurs craintes étaient fondées.
Deux semaines après le scrutin, on s’attendait à une hausse du nombre de cas constatés du fait des rassemblements qui démultiplient les risques de contamination. Pis, l’agronome Jean-Baptiste Cantave, coordinateur national du Partenariat pour un développement local, confie qu’en accaparant des moyens techniques et humains, « les élections ont entravé la lutte [contre le choléra] ». Selon lui, « à cause du scrutin, plus de gens vont mourir ».
La suite des événements demeure incertaine. Mais certaines conclusions s’imposent déjà. Loin d’apporter la stabilité et de consolider les institutions, l’élection (avec une participation de seulement 25 %) affaiblit un peu plus le pays. Déjà en proie à une crise humanitaire, Haïti doit aujourd’hui faire face à une aggravation de sa crise politique, que le second tour du scrutin, prévu le 16 janvier, ne suffira probablement pas à atténuer.
C’est une habitude depuis deux cents ans : des puissances étrangères s’imaginent savoir mieux que les Haïtiens ce dont leur pays a besoin. Du soutien aux dictatures de Papa Doc et Baby Doc (4) au renversement du président Aristide en 2004, en passant par l’imposition d’un ajustement structurel néolibéral à partir de la fin des années 1980, leur tutelle politique et économique ne cesse d’accroître l’instabilité et empêche un Etat haïtien d’émerger des décombres.
Alexander Main
Analyste politique au Centre de recherche en politique économique (CEPR), Washington.
(1) « Haiti heads for elections, police keep marches apart », Reuters, 25 novembre 2010.
(2) « Haiti able to hold election poll by year-end : Bill Clinton », Reuters, 15 avril 2010.
(3) « Haïti-Elections : Les organismes nationaux d’observation “déplorent la façon désastreuse” dont s’est déroulé le scrutin », Alterpresse, 29 novembre 2010.
(4) Surnoms donnés à François Duvalier (au pouvoir de 1957 à 1971) et à son fils Jean-Claude (au pouvoir de 1971 à 1986).
(2) « Haiti able to hold election poll by year-end : Bill Clinton », Reuters, 15 avril 2010.
(3) « Haïti-Elections : Les organismes nationaux d’observation “déplorent la façon désastreuse” dont s’est déroulé le scrutin », Alterpresse, 29 novembre 2010.