La presse haïtienne vient de perdre l’un de ses fleurons. En effet, Wébert Lahens, figure de proue de la presse écrite haïtienne, s’est éteint le mardi 2 février 2021 à Massachusetts General Hospital de Boston des suites d’une série de complications liées au diabète et à l’hypertension artérielle. Diabétique depuis des années, Wébert a connu au cours des derniers moments de sa vie des épisodes de santé obligeant finalement sa famille à favoriser son déplacement de Port-au-Prince à Boston pour une meilleure prise en charge de son cas en raison de la précarité du service de dialyse en Haïti.
Né à port-au Prince le 28 novembre 1949, Wébert a fait ses études primaires à l’école Frère Polycarpe et ses études secondaires au lycée Toussaint Louverture et au collège Roger Anglade. Son bac en main, il est entré au département de psychologie de la Faculté d’ethnologie. Il a aussi fait des études en journalisme à l’Institut international de journalisme en République fédérale d’Allemagne en pleine période de guerre froide, période qui consacra la partition de Berlin en deux zones d’influence. Sa quête de perfectionnement et de culture générale allait le conduire également à Paris et à Washington pour des stages additionnels dans ledit domaine.
Un homme de grande culture
Journaliste de carrière, Wébert collaborait pendant des années et des années au journal Le Nouvelliste et à un degré moindre au journal Le Matin. Ses articles étaient appréciés de plus d’un. Sa plume portait l’empreinte d’un homme de grande culture, rompu aux techniques de l’art et de l’écriture. En 1986, après la chute du régime des Duvalier, il va porter sur les fonts baptismaux l’Association des Journalistes Haïtiens (AJH) dont il a été le premier secrétaire général. Ses deux anciens collaborateurs immédiats au sein de cette association, Jean Gardy Ady (Adyjeangardy) et Marie Laurence Jocelyn Lassègue (Lolo) peuvent encore témoigner de son sens du sérieux et de son combat en faveur de la liberté d’expression et de la liberté de la presse.
En plus d’être journaliste, Wébert Lahens était un professionnel chevronné, un intellectuel étoffé. Il a roulé sa bosse tantôt comme rédacteur ou attaché de presse, tantôt comme directeur ou comme consultant en communication dans plusieurs institutions de la république, notamment à la Chambre des députés, au ministère des Affaires étrangères, au ministère de l’Education nationale, au Palais national, et à la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif.
Soucieux de transmettre ses connaissances aux jeunes et à la nouvelle génération, il offrait ses services en tant que professeur de communication à la Faculté des sciences humaines (UEH), à l’Université Quisqueya (UNIQ), à l’Université de Port-au-Prince (UP/IGC), à la Faculté d’ethnologie (UEH) et à l’Université Adventiste de Diquini (UNAH).
La disparition de Wébert Lahens est pour moi personnellement un véritable choc, car j’ai eu la chance de côtoyer cet intellectuel de belle eau. Ma première rencontre avec lui remonte à la première moitié des années 80 à l’église adventiste Eben-Ezer où il anima un séminaire sur Le rôle de l’information dans les communautés ecclésiales. Il affirmait tout de go le caractère transversal de l’information. Le point d’orgue, ou mieux, le point de chute de sa présentation résonne encore dans ma mémoire. « Quel que soit le domaine où l’on évolue, l’on ne peut se passer de l’information », soutenait-il.
En 1989, nos chemins vont se croiser à nouveau au Temple Adventiste #1 de la rue de la Réunion. Réservé certes, Wébert était un homme très généreux, toujours disposé et disponible à offrir quelque brin de son savoir aux jeunes. Il n’a pas laissé la somme de ses connaissances lui donner la grosse tête. Il n’a jamais permis à son grand savoir de faire de l’ombre à son humilité. Son message aux jeunes était simple : viser toujours l’excellence et la perfection tout en recherchant l’humilité. Voulant être utile à sa communauté, il organisait des séminaires tantôt sur la communication, tantôt sur la lecture et l’écriture, tantôt sur les techniques de rédaction ou de résumé d’un texte ou d’un livre, etc. J’ai eu la chance de participer, en février 1996, à l’un de ses séminaires sur le protocole et les relations publiques, séminaire qu’il avait tenu conjointement avec Rousvelt Daniel, un autre intellectuel de haut calibre (de regrettée mémoire).
Un rôle instrumental dans la formation des journalistes haïtiens
D’une formation académique solide, Wébert Lahens a joué un rôle instrumental dans la formation des journalistes haïtiens. Il s’est mis au service de la communauté à titre de conférencier dans des conférences-débats, des séminaires sur des thèmes variés tels le protocole et les relations publiques, la communication, l’art et la culture, etc. Il a également à son actif le Centre de formation courte et de créativité (CFC2) qu’il a créé en 1988 pour répondre aux besoins de formation et de perfectionnement des cadres et du personnel des administrations tant publiques que privées.
On le dénommait l’homme-séminaire, car il ne se passait jamais un trimestre, un semestre ou une année sans que le public intellectuel de Port-au-Prince eût été invité par Wébert Lahens à un séminaire de formation.
En dépit de son statut professionnel, Wébert Lahens demeurait un homme de foi attaché à son église. Il mettait ses compétences au service de la communauté à titre de directeur de la Radio Voix de l’Espérance. Il offrait allégrement ses services aux différents départements de son église locale, notamment la société de jeunesse adventiste (JA), le département des communications, l’école du sabbat et le département des activités laïques. Fort de cela, il a collaboré en tant que chef de protocole lors d’un grand programme d’évangélisation organisé en 2003- 2004 à l’hôtel Montana par le département des activités laïques du Temple I. C’était un programme inédit, essentiellement destiné à la frange intellectuelle et la classe possédante de la société haïtienne.
Wébert était un visionnaire. Dès les années 90, il encourageait les jeunes à se tourner vers les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Il affirmait à qui voulait l’entendre que le XXIe siècle sera le siècle par excellence de l’information. Ceux qui (se) refuseront de s’adapter seront laissés pour compte. L’analphabète au XXIe siècle ne serait pas seulement celui ou celle qui ne sait lire ou écrire, mais l’analphabète sera aussi celui qui ne sait pas utiliser la technologie. Comme il avait vu juste, au regard de la place prépondérante du virtuel à travers le monde d’aujourd’hui, notamment à la faveur du coronavirus !
Professeur, journaliste et critique d’art, Wébert Lahens a bien marqué son temps, son époque. Il était un marchand des choses de l’esprit, un passeur de connaissances. Wébert est parti, mais il laisse derrière lui une brochette de jeunes qui ont mordu à l’hameçon de son œuvre. Si le rêve de Wébert avait pour objectif d’être utile à la société, il l’a atteint avec brio. Du reste, il appartient à notre génération de travailler pour faire œuvre qui vaille en favorisant un climat de mentorat et de pépinières en faveur des jeunes et faire passer le flambeau de la connaissance à la nouvelle génération.
La mort du professeur Wébert Lahens est une véritable perte pour la société haïtienne. Elle affecte non seulement la presse haïtienne, mais elle frappe également de plein fouet l’église adventiste et l’intelligentsia haïtienne. Nous présentons nos sympathies à son épouse Micheline Lahens, à ses deux filles Angela et Marie Stella, à son fils Wébert Junior, à son petit-fils Valens Angel Vaval et à tous les autres parents et alliés affectés par cette disparition.
Les funérailles de Wébert Lahens seront chantées dans la matinée du vendredi 5 mars 2021 en l’église adventiste de Philadelphie à Malden, Massachusetts.
Source:Publié le 2021-02-18 | Le Nouvelliste