La corruption en Haiti est analysée soit comme un obstacle à la consolidation de l’État, soit comme le moyen d’une meilleure allocation des ressources . Pour certains auteurs, la clé explicative du phénomène se trouverait dans les faiblesses structurelles ou conjoncturelles de l’État s’incarnant dans le « néo-patrimonialisme » ou « la manducation politique ». Cette « politique du ventre » qui se pratique dans un contexte de précarité matérielle et politique serait fondée sur le fait qu’en Haiti le pouvoir repose sur l’accumulation des biens matériels et symboliques .En examinant les mécanismes sociaux de la corruption, des anthropologues ont enrichi la réflexion en démontrant que les pratiques corruptives s’enchâssent dans des logiques culturelles et sociales de négociation, d’intermédiation, de courtage, de quémandage, de dons et de cadeaux incessants .
La plupart de ces analyses traitent souvent de la corruption publique, celle des agents de l’administration publique, bras séculier du pouvoir exécutif, les parlementaires etc . Le secteur de la presse, à la fois contre-pouvoir et incarnation du quatrième pouvoir, n’est pas souvent traité comme un des lieux privilégiés de la corruption. Et pourtant, il est établi qu’en Haiti tous les secteurs de la vie sociale sont touchés par le phénomène. La presse Haitienne n’y échappe pas. Nombre de ses animateurs se livrent à une véritable marchandisation du travail journalistique. Celle-ci consiste à utiliser la liberté de la presse pour assurer, non seulement le financement des médias, mais également l’enrichissement personnel de certains journalistes. Les pratiques en cours se résument en un « complexe de corruption », qui touche aussi bien les médias publics que privés.
Sur le plan de la déontologie du métier, cette corruption-business, ou affairisme médiatique, est condamnée parce qu’elle jette le discrédit sur les journalistes et le produit de leur travail. Mieux, elle comporte des risques pour le processus démocratique, étant donné le rôle stratégique que la presse y joue. Dans le même temps, c’est grâce à ces pratiques corruptives que la presse Haitienne affiche un fonctionnement dynamique. En effet, celle-ci se fait remarquer qu’en Haiti par sa diversité et sa liberté de ton.
Nous sommes en présence d’une dynamique ambivalente. À l’instar de la corruption électorale , on peut en effet soutenir que la corruption business des médias participe paradoxalement à (et de) la consolidation du pluralisme. Notre propos ici est de montrer que la marchandisation du travail journaliste contribue à la fois à la fragilisation et à la consolidation du pluralisme médiatique. Pour mieux saisir ce mouvement de balancier, il convient de décortiquer les mécanismes de fonctionnement de la corruption-business.
L’intérêt croissant des hommes politiques corrompus en Haiti et des opérateurs économiques pour les médias et leur volonté affichée de les manipuler pour servir des intérêts partisans ont amené bien des journalistes et techniciens de la communication sociale à prendre conscience du parti qu’ils pouvaient tirer de leur position professionnelle. Cela a conduit à un journalisme de marché où l’information est considérée comme une marchandise qui se vend à l’encan.