Haïti est le pays où les flux de transferts d’argent ont le plus augmenté à un rythme exponentiel de 85.6%, d’après le rapport « Travailleurs migrants et transferts d’argent : vers la réalisation des Objectifs de développement durable, une famille à la fois » publié par le Fonds international de développement agricole (FIDA).
L’agence onusienne s’est prêtée à l’exercice de faire le ratio des flux de transferts d’argent enregistrés au cours de la période et il résulte qu’Haïti arrive en tête dans le top 5 des pays de la région Amérique latine et Caraïbes, avec des envois de fonds représentant 21% de son PIB en 2007 et 25% en 2015.
Les derniers chiffres sur les transferts de la diaspora mis en ligne par la banque centrale (BRH) sur son site web rapportent qu’entre octobre 2018 et avril 2019, un total de 1,4 milliard de dollars a déjà été envoyé en Haïti, avec un peu plus d’un milliard de dollars (71,86%) de cette somme provenant des États-Unis et les 400 millions restants répartis notamment entre le Chili (109 millions – 7,04%), le Canada (67,5 millions – 4,40%), la France (55,8 millions – 3,47%), la République dominicaine (42 millions – 2,67%) et le Brésil (39,3% – 2,33%).
Toujours selon la BRH, lors du précédent exercice (octobre 2017 – septembre 2018), le montant des transferts de la diaspora a atteint le total de 2,35 milliards de dollars, avec 1,6 milliard de dollars (68,71%) de cette somme envoyé depuis les États-Unis, tandis que le reste de ce montant est notamment partagé entre le Chili (194 millions – 7,52%), le Canada (106,5 millions – 4,89%), la France (97,3 millions – 4,32%), la République dominicaine (67,8 millions – 3,11%) et le Brésil (67,4% – 2,50%).
Pour plus de 3 millions d’Haitiens vivant hors de leur pays d’origine, la stratégie post-Covid et la révolution numérique en cours sont synonymes d’espoirs et de progrès majeurs. D’abord, elle offre aux immigrés et à leurs descendants l’opportunité de s’approprier et d’entretenir à distance leur identité maternelle. Mais surtout, elle réinvente leur mode d’engagement vis-à-vis du pays d’origine en leur permettant de « s’investir » et non plus seulement d’« investir ».
Parce qu’il est encore temps de faire bouger les lignes, les autre pays ont beaucoup à gagner dans l’édification d’un nouvel écosystème où les enjeux ne sont pas qu’économiques. Les premiers seraient bien inspirés d’investir ces nouveaux territoires d’opportunités de la « diaspora 4.0 » où s’organisent les majorités silencieuses et se cultivent les projets de demain.
Le temps est venu de se pencher sur l’envers du mythe des transferts d’argent qui domine la relation entre les diasporas Haitens et le pays d’origine. La manne considérable des transferts financiers ne peut dissimuler cette réalité que les diasporas connaissent bien : dans la grande majorité , la mobilisation et la reconnaissance de la diaspora restent embryonnaires, voire un non-sujet. Seule une minorité ont mis en œuvre une stratégie proactive d’engagement de la diaspora.
En cause pour expliquer ce manque d’ambition, la perception des diasporas comme des communautés à l’esprit trop libre et influentes auprès de leurs familles, présentant par conséquent un risque politique pour certains régimes autoritaires. L’exclusivité donnée aux transferts financiers est donc un modèle de compromis implicite entre les pays d’origine et la diaspora, qui peut se résumer ainsi : « Envoyez de l’argent à vos familles mais restez là où vous êtes ! »
Pour libérer tous les potentiels, l’heure est venue de changer de paradigme. La première clé est entre les mains de la classe politique des pays d’origine, qui doit adopter et décliner en actes une position forte et constante vis-à-vis de sa diaspora : « Vous êtes des partenaires stratégiques du développement national, qu’il soit humain ou économique. »
L’instabilité a entravé le développement économique et social d’Haïti. En 2019, le PIB s’est contracté de 0,9% ; le pays fait aussi face à une dépréciation monétaire rapide (près de 25 % à la fin de l’exercice fiscale), des taux d’inflation élevés (près de 20% à la fin de l’exercice fiscale). La récession économique a été combinée à la faible capacité de l’administration à collecter des recettes. Néanmoins, le déficit budgétaire a été contenu à cause entre autres de coupes drastiques dans les investissements de capitaux et les programmes sociaux. Les subventions énergétiques estimées à 6.5% du PIB en 2019 continuent de représenter un lourd fardeau budgétaire, réduisant considérablement l’espace budgétaire du gouvernement pour investir dans les secteurs porteurs de croissance. Les perspectives économiques sont redoutables à cause, entre autres, de la pandémie de COVID-19 et d’une crise politique non résolue.
Haïti reste extrêmement vulnérable aux catastrophes naturelles, principalement aux ouragans, aux inondations et tremblements de terre. Plus de 96% de sa population est exposée aux aléas naturels. L’ouragan Matthew qui a frappé le pays en 2016 à causé des pertes et dommages évalués à 32% du PIB de 2015. Par ailleurs, le pays a contenu avec succès l’épidémie du choléra, enregistrant zéro cas confirmé depuis janvier 2019.
Les envois de fonds devraient chuter dans toutes les régions avec un recul particulièrement marqué en Europe et en Asie centrale (27,5 %), devant l’Afrique subsaharienne (23,1 %), l’Asie du Sud (22,1 %), le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (19,6 %), l’Amérique latine et les Caraïbes (19,3 %) et l’Asie de l’Est et le Pacifique (13 %).
Cet effondrement attendu en 2020 intervient alors que les transferts d’argent vers les pays à revenu faible et intermédiaire avaient atteint un niveau record de 554 milliards de dollars en 2019. Malgré tout, les remises migratoires devraient constituer une source encore plus importante de financement extérieur pour ces pays, face à un repli plus marqué (plus de 35%) des Investissements Directs Étrangers (IDE).
Autre fait historique digne à être signalé : Haïti a franchi pour la première fois la barre des 2 milliards de dollars de transferts reçus en 2015. Depuis lors, selon la Banque mondiale, le pays n’a jamais enregistré de baisse dans ses réceptions : 2,1 milliards de dollars reçus en 2015 ; 2,3 milliards de dollars reçus en 2016 ; 2,7 milliards de dollars reçus en 2017; 2,9 milliards de dollars reçus en 2018.
Il s’agit de déconstruire le modèle unidimensionnel du migrant captif qui n’existe que par ses transferts financiers, pour s’ouvrir à un écosystème faisant se rencontrer les contributions multidimensionnelles de la diaspora dans sa globalité et où les fruits profitent à tous : épargne, investissement, tourisme, soutien à l’export, transfert de compétences, philanthropie, soft power, e-influence…
Dans cette « diaspora 4.0 », le marketing, les datas et les nouvelles technologies constituent les piliers fondateurs. En ouvrant les vannes des marchés diasporiques traditionnels (transports, télécoms, transferts d’argent) à de nouveaux acteurs comme les start-up, en imaginant de nouvelles offres plus affinitaires intégrant l’espace transnational, en appréhendant les dynamiques portées par les nouveaux besoins comme le tourisme mémoriel, qui permet de renforcer le lien avec le pays d’origine, ce nouveau marché va se révéler, se structurer et parvenir à maturité.
Pour en évaluer les performances réelles, il est primordial d’imaginer de nouveaux indicateurs spécifiques et plus pertinents. Pourquoi ne pas parler d’IDD (investissements directs diasporas) ? L’essentiel est de s’atteler aujourd’hui à labourer et semer, car, comme le dit un proverbe africain : « On ne peut pas labourer, semer, récolter et manger le même jour. »