La Réserve fédérale américaine (Fed) ou la banque centrale des États-Unis a pris la décision, le dimanche 15 mars 2020, d’abaisser ses taux directeurs d’un point de pourcentage. Cette deuxième baisse en moins de 15 jours a ramené ces taux à une fourchette comprise entre 0 et 0,25 %. Elle vise à faire face aux conséquences économiques de la pandémie de coronavirus (Covid-19), selon un communiqué de la Fed publié en marge de cette décision d’urgence. « Les effets du coronavirus pèseront sur l’activité économique à court terme et présenteront des risques pour les perspectives économiques », précise le communiqué.
La Fed a indiqué qu’elle maintiendrait les taux dans cette fourchette jusqu’à la fin de la crise sanitaire du coronavirus qui tend à se transformer en une grave crise économique et financière. La banque centrale américaine promet de participer à une action concertée au niveau mondial en vue d’assurer que les liquidités seront suffisantes sur les marchés financiers.
Il est très rare dans la pratique de la Fed qu’elle diminue son taux directeur à un tel niveau un dimanche alors que la réunion du comité monétaire habituel devait avoir lieu le mardi 17 et le mercredi 18 mars. Cela traduit l’ampleur de la préoccupation des autorités monétaires américaines qui voulaient calmer l’ouverture des marchés boursiers le lundi 16 mars après que Wall Street avait connu le jeudi 12 mars 2020 sa pire journée depuis le krach boursier d’octobre 1987.
Depuis la crise financière de 2008, c’est la première fois que la Fed abaisse ses taux directeurs à deux reprises en moins de 15 jours, en dehors de son comité monétaire habituel. Elle en a profité pour annoncer l’achat de 500 milliards de dollars de bons du Trésor et de 200 milliards de dollars de titres hypothécaires. Le marché hypothécaire est un des marchés directement touchés par les mesures de la Fed. Les personnes qui détiennent une hypothèque à taux variable verront leur taux d’intérêt hypothécaire réduit d’un pourcentage à peu près équivalent au pourcentage de diminution des taux directeurs de la Fed.
La Fed est un leader sur le marché financier mondial. Sa décision est suivie dans le monde entier. Les banques centrales canadienne, européennes et asiatiques s’ajustent généralement aux mesures de la Fed. À preuve, la banque centrale du Canada a diminué son taux directeur à la suite de la baisse de la Fed. Si les banques centrales baissent généralement leurs taux directeurs en vue de stimuler la relance économique, cette vague de réduction vise surtout à diminuer l’impact du coronavirus sur l’économie mondiale. La banque centrale américaine est la seule susceptible d’influencer autant les taux d’intérêt mondiaux et en particulier ceux des différents pays occidentaux.
Les décisions des banques centrales à travers le monde démontrent l’ampleur que prend la crise du coronavirus. Cette crise sanitaire partie de la Chine a d’abord provoqué un choc d’offre puisqu’elle a frappé le principal centre de production des biens du monde. Une grande proportion des biens disponibles sur le marché international est produite en Chine. La suspension des activitée des usines chinoises provoquera la rareté d’un certain nombre de biens à travers le monde. La Chine représente aujourd’hui 50 % de la demande mondiale d’acier et 20 % du commerce international. Le choc d’offre se transforme assez rapidement en un choc de demande puisque la Chine importe beaucoup de matières premières, notamment du pétrole. Le prix du pétrole a déjà chuté drastiquement sur le marché international.
La mise en arrêt d’activités économiques
Outre la crise sanitaire du coronavirus, une grande partie de la crise économique mondiale est provoquée par la suspension d’un ensemble d’activités économiques. À titre d’illustration, le secteur de l’aviation internationale est quasiment à l’arrêt. La situation est encore pire pour l’industrie sportive, les secteurs de l’éducation, du loisir et de l’hôtellerie. La restauration, les transports, les petites et moyennes entreprises tournent au ralenti. Les administrations publiques recommandent le télétravail ou le travail à distance. Ce ralentissement des activités socioéconomiques va avoir des répercussions sur tous les agents et tous les marchés économiques et financiers, sauf si la crise sanitaire s’estomperait et les activités sociales et économiques reprendraient bientôt.
En cas de prolongation de la crise, les travailleurs perdront leurs emplois en grand nombre. Certaines entreprises commencent déjà à licencier. L’Organisation internationale du travail (OIT) estime à 25 millions la perte d’emplois probable due à la crise du coronavirus dans le monde. Ces nouveaux chômeurs ne pourront pas rembourser leurs crédits, leurs hypothèques et leurs prêts d’automobiles, ce qui risque d’engendrer une crise financière importante.
Pour limiter les conséquences de ces crises, les gouvernements étrangers envisagent de venir en aide aux ménages et aux entreprises en allégeant ou en différant le paiement des impôts. Le président américain et le Premier ministre canadien vont jusqu’à promettre des chèques aux citoyens directement affectés par les effets négatifs de la crise du coronavirus. Quant au reste du monde comme agent économique, la crise actuelle risque de redessiner la carte du commerce international.
Conséquences sur l’économie haïtienne
Ces ralentissements de l’économie mondiale toucheront à coup sûr l’économie haïtienne pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’une grande partie des biens disponibles sur le marché local est importée. Les prix de ces biens risquent d’augmenter aggravant ainsi le niveau d’inflation locale déjà élevé. La mise à pied des employés aux États-Unis et dans les autres pays où résident des Haïtiens va se faire remarquer au niveau des transferts qui maintiennent l’économie haïtienne sous la forme de respiration artificielle au cours des 30 dernières années.
Les produits pourraient devenir plus chers en Haïti pendant que les transferts de la diaspora haïtienne tendraient à diminuer. Le dollar américain peut devenir plus rare avec une éventuelle augmentation du taux de change. D’ailleurs, les banques commerciales continuent de peser sur l’accélérateur du taux de change même en ces temps de grande crise et de ralentissement des activités économiques au niveau international.
La Banque de la République d’Haïti (BRH) a organisé le mardi 17 mars 2020 une rencontre avec les responsables des banques commerciales haïtiennes sur les impacts du coronavirus sur le système financier et l’économie du pays. La rencontre portait sur les mesures à mettre en œuvre afin de faire face aux impacts de la pandémie sur le fonctionnement du système financier et sur l’économie nationale. La BRH en a profité pour recueillir les informations sur les mesures prises par les banques commerciales en vue de continuer à fournir des services aux clients tout en les protégeant. Le maintien des services financiers face aux risques de la pandémie demeure un enjeu très important pour les autorités monétaires locales.
Dans une entrevue à notre confrère Roberson Alphonse le mardi 17 mars 2020, le gouverneur de la BRH, Jean Baden Dubois, a admis que l’impact du Covid-19 sur l’économie haïtienne sera très négatif. « C’est très clair qu’on va avoir des impacts économiques très lourds », a-t-il confié au journal Le Nouvelliste. Les mesures prises par les États-Unis pour faire face au Covid-19 affecteront les exportations haïtiennes déjà faibles ainsi que la chaine d’approvisionnement aux États-Unis d’où Haïti importe la majorité des produits, a confirmé le gouverneur.
Jean Baden Dubois fait état également des discussions avec des partenaires internationaux, dont le Fonds monétaire international (FMI), afin d’avoir accès aux fonds qui sont disponibles pour pouvoir supporter des pays fragiles comme Haïti. La BRH, a-t-il poursuivi, s’engage à maintenir le système de paiement comme elle l’a déjà fait durant le « peyi lòk ». Elle va s’assurer, de concert avec les banques commerciales, que le système de paiement est disponible en tout temps.
La BRH assurera que les succursales sont approvisionnées adéquatement en cash ainsi que les ATM. Elle encourage les banques commerciales à offrir des avantages incitatifs pour que les gens utilisent les cartes de débit et de crédit. La banque centrale envisage aussi des mesures qui portent sur la protection de la clientèle en essayant de limiter les files d’attente qui engendrent une forte concentration de personnes.
Les autorités monétaires haïtiennes encouragent le télétravail ou le travail à distance tout en faisant la promotion des moyens de paiement autres que le cash comme le SPIH et les cartes de débit et de crédit. Les billets représentent un des vecteurs de propagation de la pandémie du coronavirus. Toutefois l’Organisation mondiale de la santé (OMS) confirme que le coronavirus peut survivre sur des surfaces d’objets pendant seulement quelques heures. Ainsi, le risque d’être infecté en touchant des objets comme des pièces de monnaie, billets de banque ou cartes bancaires serait plutôt faible. Il sera encore plus faible si les utilisateurs se lavent les mains régulièrement comme indiqué ou plus spécifiquement après avoir touché de l’argent.
Il s’agit ici des mesures monétaires mais les autorités fiscales doivent penser également à des mesures visant à accompagner les secteurs les plus exposés aux conséquences néfastes du coronavirus. Les mesures envisagées à l’international ne seront pas forcément applicables en Haïti. D’où la nécessité d’assurer une bonne coordination des acteurs nationaux afin de faire face à la pandémie et à ses conséquences.
À quelque chose, malheur peut être bon puisqu’Haïti bénéficie jusqu’ici des avantages liés à son retard de développement. La faible affluence des touristes a limité la probabilité d’importation du coronavirus. Si la pandémie affecte négativement de nombreux secteurs d’activités économiques, elle peut servir également à en promouvoir d’autres. La production nationale peut énormément en profiter si des mesures adéquates sont prises.
À la fin de la crise, plusieurs pays occidentaux (États-Unis et Canada par exemple) seront probablement plus réticents à la délocalisation de leur production en Chine. Haïti pourrait en profiter pour accueillir certaines de ces entreprises si les autorités arrivaient à résoudre les problèmes politiques. Des crises naissent toujours des opportunités.
Thomas Lalime
thomaslalime@yahoo.fr