La section «Droits de l’homme» de la Mission des Nations unies pour l’appui à la justice (Minujusth) a rendu publics les résultats de son enquête sur ce qui s’était passé à La Saline les 13 et 14 novembre dernier. L’enquête menée par le SDH suggère que l’attaque de La Saline était une opération bien planifiée, menée par des membres d’au moins cinq gangs différents avec la possibilité de complicité des membre de l’État contre des membres de deux groupes rivaux (Kafou Labatwa et Projet La Saline), ainsi que des résidents soupçonnés d’être associés à ces deux gangs.
« L’attaque de La Saline des 13 et 14 novembre représente à la fois un acte de violence sans précédent de par la gravité des actes perpétrés et du nombre élevé de victimes, estiment les représentants de l’ONU en Haïti. L’attaque a fait au moins 26 morts, trois blessés, deux victimes de viol collectif. De plus, 12 personnes sont portées disparues. Les chiffres ne sont pas exhaustifs », rapporte l’ONU.
Retraçant le film du massacre, l’enquête rapporte que l’attaque aurait été dirigée par le chef du gang Chabon avec la participation active de gang Bwadom de La Saline, ainsi que de trois autres gangs extérieurs à La Saline (Tokyo, Delmas 6 et Pilate). Les bandits camouflé en des agents de BOID ont pénétré les quartiers puis assassinés les habitants. « Les assaillants ont alors sorti des résidents à l’extérieur de leur maison puis les ont tués dans la rue, par balle, à coups de hache et/ou de machette créant un climat de terreur dans le quartier. Des résidents tentant de fuir ont été capturés et exécutés ou blessés dans les rues. La majorité des victimes ont été tuées entre 16h et 18h, le 13 novembre. »
Selon l’enquête, l’ordre de perpétrer ce massacre aurait été notamment donné par le délégué départemental de l’Ouest, Richard Duplan, qui, selon des témoins, a été vu en compagnie de « Jimmy Cherizier alias Barbecue, agent de l’Unité départementale de maintien de l’ordre (UDMO) et de Gregory Antoine alias Ti-Greg, agent de la police administrative, ainsi que de membres de gangs armés vêtus de noir et portant des cagoules. Parmi les hommes armés, un troisième policier, Gustave alias Chupit, agent du Corps d’intervention et de maintien d’ordre (CIMO) aurait été identifié. Des témoins ont identifié parmi les membres reconnus des gangs présents Donalson (Chabon), Eddy Macca (Bwadòm), Pablo (Tokyo) et Serge Alectis, alias Ti-junior, chef du gang Chabon. »
« Richard Duplan se serait alors adressé aux membres de gangs en leur disant : « Nou touye twòp moun, se pa misyon sa yo te bay nou » (Vous avez tué trop de gens, ce n’était pas ça votre mission) puis aurait quitté les lieux à bord de son véhicule ». La présence alléguée du délégué départemental et d’agents de la PNH suggère une possible implication de ces représentants de l’État dans les événements.
Absence de réponse de la Police nationale d’Haïti durant l’attaque
L’ONU dit ne pas comprendre la réaction de la Police nationale d’Haïti qui malgré sa position géographique n’a pas pu intervenir à temps pour stopper l’attaque. L’attaque de La Saline a duré au moins 14 heures, sans que la PNH n’intervienne. Les trois premières heures ont été les plus meurtrières. « Les membres de gangs ont pu attaquer les résidents sans être inquiétés d’une possible intervention de la PNH, malgré la présence à proximité de deux sous-commissariats de police (ceux de La Saline et de Portail Saint-Joseph), du siège du CIMO et de la Brigade d’opération et d’intervention (BOID), tous situés à moins d’un kilomètre de la zone affectée. Le sous-commissariat de La Saline se trouve sur le boulevard faisant face au quartier et les agents de la PNH entendaient les cris des résidents. Selon les témoignages, des véhicules de la PNH étaient positionnés à proximité ou patrouillaient les alentours du quartier de La Saline pendant au moins 2 heures au cours de l’attaque des gangs », lit-on dans ce rapport de 20 pages.
« Le manque d’intervention étatique pour protéger la population des violences des gangs est particulièrement préoccupant », ont déploré les défenseurs des droits humains qui recommandent aux responsables de l’Inspection générale de la PNH d’ouvrir une enquête sur l’absence d’intervention de la PNH dans le quartier de La Saline lors des violences des 13 et 14 novembre 2018 afin de contribuer à de mettre un terme aux attaques des gangs.
Au gouvernement d’Haïti, l’ONU demande de « mener des enquêtes approfondies sur les actes de violence commis par les gangs et la complicité présumée de représentants de l’État et d’agents de la PNH à La Saline. » « Les personnes présumées responsables de ces violences, y compris celles exerçant ou ayant exercé des positions publiques, soient promptement traduites en justice conformément aux normes internationales en matière de procès équitable ; et s’assurer de la mise en œuvre effective de mesures disciplinaires appropriées au cours de la procédure judiciaire envers les agents de l’État concernés », ont-ils exigé.
Ils demandent également d’adopter des mesures appropriées afin de protéger la sécurité, le bien-être physique et psychologique et la dignité des victimes et des témoins qui portent plainte pour ces violences, avec un appui particulier pour les mineurs et les victimes de violences sexuelles.
Pour réaliser cette enquête, le SDH a pu rencontrer de nombreuses victimes et leurs familles, des acteurs de la société civile haïtienne ainsi que des représentants d’institutions étatiques, notamment du système judiciaire, afin de documenter les événements et la réponse des autorités face à ces violences et aux crimes commis. Ce rapport a été partagé avec le gouvernement haïtien avant sa publication et les commentaires reçus ont été insérés dans le texte. Il ne prétend pas être exhaustif et ne présente que les cas documentés et vérifiés par la MINUJUSTH.
Edrid St Juste source Le Nouvelliste