la crispation de l’Eglise sur l’homosexualité reste difficile à comprendre, dans nos pays où l’on a tendance à la banaliser. Les raisons valent donc d’être examinées. La Bible – à laquelle se réfèrent juifs, chrétiens et musulmans – fournit sur l’homosexualité une condamnation sans appel que reprennent les Epîtres de Paul. Inutile de rappeler ici des citations dont chacun connaît peu ou prou l’existence et la teneur, sinon la formulation, et dont l’énumération n’apporterait rien à notre propos. Certes, l’exégèse moderne invite à contextualiser des écrits dont la lecture au premier degré n’est plus guère le fait que de certains Etats du monde musulman où l’homosexualité est passible de la peine de mort… comme recommandé dans la Bible. Une contextualisation refusée par le magistère de l’Eglise catholique qui rappelle avec constance et fermeté qu’il est des interdits structurant, en tous temps et en tous lieux, qu’aucune évolution des mœurs ou des connaissances ne saurait remettre en cause.
Dans le monde occidental – mais pas uniquement – on a longtemps considéré l’homosexualité comme une maladie (1) ou pire : un vice, une dépravation. Pour les catholiques c’était là un péché mortel, puisqu’un comportement en contradiction avec le « plan de Dieu » sur sa création. Les sciences humaines ont, dans un premier temps, popularisé l’idée que l’on n’est pas homosexuel par choix. L’Eglise en tient compte qui ne condamne pas les personnes du fait de leurs «tendances», mais uniquement les actes qui, eux dépendent de la seule volonté des personnes. Le véritable basculement, pour nombre de chrétiens, est venu, plus récemment, de la prise de conscience qu’il existait, près d’eux, des personnes homosexuelles vivant en couple stable, aimant, fidèle, ouvert sur une forme de fécondité sociale. Un comportement pas si éloigné, au fond, de celui que l’Eglise exige des couples mariés, hormis l’absence de différenciation sexuelle.
Ce basculement a eu pour effet de susciter l’interrogation aujourd’hui portée par de nombreux catholiques : lorsque deux personnes de même sexe vivent ensemble en donnant un tel témoignage de dignité, peut-on encore parler de péché ? Quelle offense font-ils à Dieu ? Ne faut-il pas reinterroger la lecture que l’Eglise fait des Ecritures et du « plan de Dieu » sur le seul couple homme-femme ? Le magistère, on le sait, réaffirme que la question est tranchée, définitivement tranchée. Une réponse qui ne peut, hélas, être tenue pour satisfaisante au regard de la raison et de la conscience de chacun face à ce qu’il comprend du message évangélique.
Tout le monde sait que l’homosexualité existe, mais les gays doivent rester cantonnés au milieu qu’on leur assigne, et on préfère éviter d’aborder le sujet. La société Haitenne est fortement hétéronormative : la famille, l’école, la religion, la loi, autant d’institutions qui inculquent dès le berceau aux garçons et aux filles l’obligation de se conformer à la norme, le mariage et la procréation étant perçus comme l’aboutissement d’une vie adulte. L’homosexualité, quand elle est évoquée, est présentée comme une pathologie qui réclame les soins du psychiatre. Il arrive aussi que l’Occident soit montré du doigt comme cherchant à exporter une « identité gay » inconnue en Haiti, au risque d’attiser l’homophobie des autorités et des franges les plus conservatrices de la population (1).
La plupart des gays auprès desquels nous avons mené notre enquête témoignent que, à l’adolescence, ils se sont sentis seuls au monde. Quand ils ont éprouvé pour la première fois du désir pour un homme, ou après leur première expérience sexuelle, ils ont cru qu’ils étaient une anomalie de la nature. Car, jusque dans les années 1990, on ne parlait guère d’homosexualité, encore moins aux adolescents.
Je souffre parce qu’on ne peut pas vivre librement. On ne peut pas vivre comme on veut. Nous avons beaucoup de problèmes et surtout il y a beaucoup d’opposants. Des chrétiens ou d’autres religions pour qui l’homosexualité est un phénomène importé.
Denis Maksens, habitant de Port-au-Prince
Les agressions verbales ou physiques restent en général impunies voire encouragées par certains politiques. Même les associations haïtiennes de défense des droits de l’homme s’occupent peu de la condition de la communauté homosexuelle ou transgenre. Shirley Moreau est l’une des rares à organiser des réunions de sensibilisation. Elle raconte : “Quand une personne gay recherche un emploi, elle n’en trouve pas. Elles sont en général rejetées par la société. Par exemple, si elles sont malades et vont à l’hôpital, elles ne reçoivent aucun soin. On les encourage plutôt à changer leur style de vie.“
Le sociologue Erving Goffman a distingué trois types de stigmatisation : la déformation physique, les imperfections de caractère et les préjugés. Le premier type est attribué aux déformités corporelles innées ou acquises. C’est donc une différence par rapport aux normes de condition physique idéalisées par la société. Le second est plutôt attribuable aux comportements ayant des conséquences perçues comme négatives. C’est le cas, par exemple, des personnes infectées au VIH, des homosexuels et des alcooliques. Et, le troisième résulte de la perception qu’une race, une religion ou une nationalité soit supérieure par rapport à une autre.
La seconde peut survenir chez des personnes atteintes du VIH. Elles font face à une stigmatisation considérable car beaucoup pensent qu’elles auraient pu contrôler les attitudes à l’origine de l’infection.
Ethnographiquement, Haïti se rapproche de plusieurs pays du continent africain où des études ont été menées sur cette problématique. L’homosexualité y est perçue comme une menace à combattre car dangereuse, pour l’ordre social religieux, moral et démographique, et par conséquent entrave les étapes de soins comprenant la prévention, le dépistage, l’enrôlement aux soins et l’adhésion thérapeutique.
Selon plusieurs organisations des droits de l’Homme, il n’y a pas de loi contre l’homosexualité dans le Code pénal haïtien. À titre minimal, les HSH sont protégés en vertu de la constitution de 1987 : art. 35-2 qui interdit la discrimination sur le lieu de travail en fonction du « sexe, des opinions et de l’état matrimonial ».
En août 2017, le sénat haïtien a voté une loi interdisant le mariage de même entre individus de même sexe. En soi cette mesure n’a rien de nouveau, car le code civil national ne reconnaît que les unions entre un homme et une femme. Mais ce vote traduit une intolérance grandissante à l’égard de la communauté HSH, car il vise à interdire toute affirmation de l’homosexualité dans l’espace public.
De plus, il n’y a pas de loi sur la criminalité anti-haine qui traite spécifiquement de la discrimination et du harcèlement subits par les homosexuels en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre. L’homosexualité est considérée comme tabou par les Haïtiens largement influencés par la religion chrétienne.
C ’est toute une pyramide qui est bâtie sur le mariage, par rapport au désir d’avoir une famille et une femme, mais aussi par rapport à la religion. On dit que le mariage dans la religion est une chose bénéfique du point de vue relationnel, amoureux, psychologique, et par rapport à la société . Outre le fait qu’ils accomplissent par là un devoir religieux équivalant à la moitié de ce qu’ils doivent au créateur, les hommes projettent dans le mariage leur aspiration à une forme de stabilité sociale, de réussite et d’accomplissement. À l’inverse, ils s’imaginent la vie des gays comme une existence de débauche, de honte et de solitude. À l’antagonisme implacable de ces deux modes de vie (qui relève essentiellement de l’ordre de la représentation sociale) s’ajoute le fait que les modèles de couples gays algériens qui vivent ensemble sont très rares.
https://theconversation.com/en-ha-ti-la-chasse-aux-homosexuels-et-victimes-du-vih-continue-116674