Petrocaribe est un accord de coopération énergétique lancé, en 2005, par Hugo Chávez, alors président vénézuélien, avec une quinzaine de pays d’Amérique centrale et de la Caraïbe. La mesure s’inscrit dans la stratégie d’intégration régionale du Venezuela. Grâce à cet accord, Haïti a bénéficié, entre 2008 et 2018, de la possibilité d’acheter du pétrole vénézuélien à un taux préférentiel adossé à des facilités de paiements : le remboursement se faisait sur une période de vingt-cinq ans avec un taux d’intérêt annuel de 1 %. L’État haïtien revendait, plus cher, une partie du pétrole aux compagnies locales, les bénéfices devant servir, selon les termes de l’accord, à financer des projets sociaux et de développement.
La dernière livraison de pétrole s’est faite le 14 avril 2018. En tout, près de 44 millions de barils ont été livrés et commercialisés, générant plus de 4,2 milliards de dollars (3,9 milliards d’euros)… qui n’ont guère profité à la population. La partie haïtienne de l’accord a fait l’objet d’une enquête parlementaire, en août 2016, et de deux rapports d’audit de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratifs en janvier et mai 2019, mettant au jour la dilapidation des fonds et un système de corruption à grande échelle. Alors que l’accord est arrivé à son terme, la plupart des projets sociaux imaginés au départ demeurent inachevés. Haïti doit néanmoins rembourser sa dette envers le Venezuela.
Pas d’estimation des coûts avant le lancement de travaux, pas de document comptable fiable, pas d’appel d’offre… Les plus de 1000 pages du rapport de la Cour des comptes sont une litanie de fautes administratives.
Mais les dérives liées aux fonds Petrocaribe sont loin d’être dévoilées car jamais la Cour ne s’attache à savoir si les projets financés à coups de millions de dollars étaient pertinents.
Etait-ce bien par exemple au ministère du tourisme de distribuer 5 000 vaches laitières à des fermiers ? Etait-il nécessaire de construire cet embarcadère ou ce tronçon de route plutôt qu’un autre ? Ces questions ne sont pas posées. Aussi beaucoup de documents n’ont pas été transmis par les ministères.
Le projet de Morne-à-Cabri est potentiellement l’un des plus gros scandales : suite au séisme de 2010, 1500 logements et un parc industriel devaient être construits en périphérie de la capitale. Lancé en 2012, le chantier a été stoppé en 2014. Pourtant 46 millions de dollars ont bien été versés à une compagnie dominicaine. Et la Cour des comptes dit aujourd’hui n’avoir pu retracer aucun contrat.
Discrédité, sans moyens pour satisfaire les revendications, combien de temps M. Moïse pourra-t-il encore tenir ? Nombreux sont ceux qui estiment sa chute certaine avant le terme de son mandat, à la fin de l’année 2021. Si elle advenait — mais quand et à quel prix ? —, sa démission ouvrirait la voie à un changement, cadenassé par sa présidence. Elle constituerait le signe que la corruption n’est pas une fatalité, que l’impunité a une fin. La deuxième étape serait le procès de Petrocaribe en Haïti et de toutes les affaires de corruption, accompagné d’un audit de la gestion publique. Il faudrait ensuite reconstruire les institutions, de sorte qu’elle retrouve leur fonction première de service aux citoyens…
Utopique ? Pas plus finalement que ne l’était de tirer la Cour supérieure des comptes de sa léthargie, au point d’obtenir d’elle l’impossible : la publication de deux rapports d’audit démontrant et détaillant les détournements des fonds issus de Petrocaribe. Laissées à elles-mêmes, ni la classe politique, délégitimée, ni les institutions, affaiblies, ne sont en mesure d’opérer le changement requis. D’où l’appel, non à des élections, qui, dans les conditions actuelles, ne pourraient éviter de consacrer la reproduction du même, mais à une « transition de rupture » dont le mouvement social serait le moteur. Le singulier alliage que les mobilisations actuelles sont en train de forger sera-t-il à la hauteur d’une telle ambition ?
https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20200818-scandale-petrocaribe-haiti-troisieme-rapport