Le pays s’est réveillé le 7 juillet 2021 en état de choc en apprenant l’assassinat chez lui de M. Jovenel Moïse. L’énormité d’une fin tragique que l’on croyait appartenir à des périodes révolues ne laisse pas d’émouvoir, indépendamment des opinions politique ou juridique que l’on pouvait avoir sur la victime. Le temps dira qui aura fomenté ce régicide et qui en aura profité ; il est aujourd’hui trop tôt pour spéculer là-dessus. N’en demeure pas moins la question du comblement de la vacance et des réponses institutionnelles qui peuvent y être apportées. Et l’on est obligé de constater que, quelle que soit l’hypothèse retenue, nous nous trouvons devant un désert constitutionnel, aucune norme ne venant à la rescousse pour étancher la soif de réponse.
Si l’on se base sur la thèse que le mandat de M. Moïse a expiré le 7 février 2021, la situation d’a-constitutionnalité est patente. On ne saurait appliquer les normes régissant la vacance présidentielle à quelqu’un qui légalement n’était plus président. En effet, depuis le 7 février 2021, un président de fait a accaparé le pouvoir et toutes les institutions sur lesquelles reposent le fonctionnement et la sécurité de la population sont dirigées par des fonctionnaires ad interim, premier ministre, ministres, chef de la police, qui ne tiennent leurs pouvoirs que de lui, et qui sont englobés dans la même illégitimité. La disparition de M. Moïse entraîne avec elle l’écroulement de tout l’apparatus de facto qui ne reposait que sur sa seule présence au Palais national et non sur la loi ou la constitution.
Si par contre, on adopte la thèse du mandat présidentiel expirant le 7 février 2022, il faut alors appliquer l’art. 149 remanié de la Constitution de 1987 dont la substance est la suivante: Toute vacance présidentielle fait du premier ministre le chef du pouvoir exécutif pour une période allant de soixante à cent vingt jours, le temps de tenir des élections présidentielles devant combler la vacance pour le temps qui reste à courir. Par contre, toute vacance survenant à partir de la quatrième année de la présidence oblige l’Assemblée nationale à élire un président provisoire pour terminer le mandat du président sortant.
Par application de cet article, M. Moïse serait décédé au cours de la cinquième année de son mandat. Un président provisoire devrait être élu par l’Assemblée nationale. Formalité impossible, car les composantes de l’Assemblée nationale ne fonctionnent pas aujourd’hui ; le propos n’étant pas aujourd’hui de gloser sur la responsabilité de leur disparition ou de leur dysfonctionnement. M. Claude Joseph ne peut non plus s’attribuer le titre de chef de l’exécutif ni prétendre assumer la continuité de l’État. Premièrement, il n’est pas dans le temps pour légitimer une telle prétention. Deuxièmement, premier ministre ad interim, à la légitimité bancale par définition, il est, de plus, démissionnaire et expédie les affaires courantes depuis la nomination de son successeur, M. Ariel Henry. Ce dernier, pour les mêmes raisons temporelles et n’ayant jamais été investi dans ses fonctions, (et par qui le serait-il aujourd’hui ?), subit un avortement de primature.
Dans ces circonstances, le droit n’a pas son mot, le champ constitutionnel où cueillir les réponses étant tragiquement désert.
La réponse ne peut provenir que de la sagesse en espérant que tout le monde en soit imprégné. En l’absence de règles constitutionnelles, il est venu le temps de constituer, à l’instigation des forces organisées de la société jouissant d’une autorité morale, un gouvernement de large consensus pour la conduite et la gestion des affaires de l’État, l’une des plus urgentes étant le rétablissement de la sécurité publique. Pour ramener la confiance des acteurs politiques dans les processus démocratiques, les membres actuels du CEP, exerçant leurs fonctions sans l’onction du serment fondateur et organisant un référendum inconstitutionnel devraient céder la place à des personnalités issues de consultations avec les différents secteurs de la société. Ce nouveau CEP aura la tâche d’organiser les prochaines élections à tous les niveaux, après avoir audité les listes électorales. Comme de bien entendu, la question du referendum constitutionnel sous les formes actuelles devrait être écartée. Ce sont, selon nous, les mesures minimum, pour panser les plaies, ramener la confiance et faciliter le retour à la légalité constitutionnelle. Si par contre, le tragique événement de la nuit dernière devait exacerber les divisions, c’est de l’Etat lui-même et pas seulement de son administration qu’il faut craindre la disparition !